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La semaine de quatre jours, ça marche? Nos offres d’emploi

Plus de 3000 employés britanniques testent la semaine de quatre jours payée à 100%. En Suisse, les sociétés qui ont adopté ce modèle, pas toujours viable, sont rares. La pénurie de personnel pourrait cependant amener plus d’employeurs à s’y intéresser

JULIE EIGENMANN @JulieEigenmann CÉDRIC TILLE, PROFESSEUR D’ÉCONOMIE À L’IHEID https://www. letemps.ch/video/ societe/ semaine-quatrejours-decryptee

t«C’est un bouleversement au quotidien, je dirais presque une libération». C’est en ces termes que Lucas, 26 ans, parle de la semaine de quatre jours, à 32 heures et payée à 100%, instaurée depuis septembre dernier dans la PME vaudoise Assymba. Il est employé depuis cinq ans par cette société d’une dizaine de collaborateurs active dans les services informatiques pour les PME (sauvegardes, cloud, téléphonie, etc.).

«Avec ce modèle, on a une journée libre pour faire des tâches comme le ménage et les courses et on profite vraiment du week-end, poursuit-il. Au travail, je suis aussi plus motivé. Et s’il faut faire un peu plus d’heures une fois je ne compte pas, parce que cette semaine de quatre jours est fondamentalement un cadeau.»

Soigner ses collaborateurs pour soigner ses clients

Lucas s’exprime dans les bureaux de l’entreprise, à l’ambiance résolument «cool», à Bussigny. Des idées sont griffonnées sur une vitre, des diffuseurs de parfum d’ambiance embaument les pièces et dans le bureau de Patrick Tundo, fondateur d’Assymba, trônent une bouteille de whisky et des verres élégants façon Mad Men. Le patron a testé la semaine de quatre jours pendant trois mois, avec l’idée que «si on soigne ses collaborateurs, ils soigneront les clients», avant de l’instaurer pour de bon. Il en profite aussi, les mercredis: ski en hiver, mais aussi passage à la déchèterie, sourit-il. «Au début on m’a dit: «Tu es fou, tu vas juste perdre du chiffre d’affaires!»

Patrick Tundo admet qu’une certaine réorganisation a été nécessaire. Il pointe un écran qui affiche qui est en congé. Sont également visibles les noms des clients, leur localisation et d’éventuels problèmes techniques repérés «pour les résoudre avant qu’ils arrivent». Car il s’agit d’être tout aussi efficace en moins de temps et de pouvoir

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selon le dernier classement annuel du cabinet américain Mercer. L’ancienne colonie britannique en Chine arrive en tête, devant Zurich, Genève, Bâle et Berne. reprendre le travail qu’un collègue a commencé la veille. «Au début c’était complexe de gérer les absences, témoigne Lucas, mais aujourd’hui nous avons amélioré notre transmission d’informations et nous gagnons énormément de temps.»

Le modèle d’Assymba est-il généralisable à davantage d’entreprises en Suisse? Si les temps partiels sont désormais courants, les entreprises à avoir adopté la formule «quatre jours payés cinq» sont rares. On peut citer l’agence de marketing zurichoise Addvanto, Seerow, dans l’informatique, basée à Soleure et l’équipe de cuisine du Park Hotel à Winterthour. Par ailleurs, en décembre dernier, une motion a été déposée à Berne pour demander la semaine de 35 heures, avec une compensation salariale intégrale pour les bas et moyens salaires. Dans d’autres pays, les tests ont été plus globaux, comme en Islande, qui l’a instaurée de 2015 à 2019 auprès de 1% de la population. L’équilibre entre vie privée et professionnelle s’est amélioré et la performance s’est avérée égale ou supérieure à celle d’avant, avec cependant des difficultés rencontrées par certains cadres à réduire leurs heures. En Grande-Bretagne, plus de 3000 salariés essaient pour six mois la semaine de quatre jours.

«C’est intéressant de l’envisager comme une possibilité en Suisse, mais il ne faudrait surtout pas que ça devienne un jour une règle contraignante pour toutes les entreprises, réagit Cédric Tille, professeur d’économie internationale à l’Institut de hautes études internationales

Il succédera en juillet à Alex Classen à la direction de la banque privée pour la région Europe, Moyen-Orient, Afrique ainsi que pour la Suisse. et du développement à Genève. Et il faut que le modèle soit flexible si l’entreprise doit tout à coup faire face à des grosses commandes, par exemple.»

Mais ce système est-il viable économiquement?«Comparé à la même période de l’année passée depuis le mois de septembre, notre chiffre d’affaires a augmenté de 15 à 20%, mais c’est peut-être aussi lié à quelques gros projets», avance Patrick Tundo. En faveur d’un système libéral dans lequel les entreprises sont libres de proposer le mode de fonctionnement qui leur convient le mieux, Véronique Kämpfen, directrice de la communication de la Fédération des entreprises romandes à Genève, met cependant en garde contre une éventuelle généralisation de ce système, inapplicable à certains secteurs et certains postes. «Pour une caissière par exemple, un modèle comme celui-ci correspondrait tout simplement à une augmentation de salaire, parce qu’elle ne peut pas passer plus d’articles avec un jour de moins.» Elle souligne aussi qu’il existe d’autres possibilités qui intéressent aujourd’hui davantage les employés, comme de la flexibilité sur les horaires pour mieux gérer une vie de famille.

Du côté des syndicats, on estime que c’est aux partenaires sociaux de chaque branche de savoir si le concept est applicable ou non. Mais sur le fond, l’Union syndicale suisse y est favorable, comme l’explique Luca Cirigliano, secrétaire central: «Les Suisses travaillent beaucoup en comparaison avec les autres pays européens. Le temps de travail hebdomadaire stagne depuis quelque temps, alors qu’il avait baissé ces trente dernières années en lien avec une meilleure productivité. Cela aurait donc du sens». Luca Cirigliano juge qu’il faut cependant éviter l’écueil d’une semaine de quatre jours adoptée sans changer l’organisation de la charge de travail. «Si c’est exactement le même projet qu’il faut finir en moins de temps, on risque d’avoir des employés qui continuent de travailler à la maison sur leur congé, sans le dire.»

Pour Cédric Tille, cette organisation ne peut fonctionner que dans les métiers où la productivité augmente rapidement, en lien avec l’automatisation. «Il faut que les collaborateurs soient plus efficaces, sinon l’entreprise devra augmenter ses prix de 20%. » En période de pénurie de personnel, le modèle peut bien permettre d’attirer des employés, souligne le professeur: «On parle dans certains secteurs d’augmenter les salaires et c’est ce qu’on fait d’une certaine manière avec la semaine de quatre jours.»

Véronique Kämpfen relève aussi le revers de la médaille d’une semaine de quatre jours, si elle était imposée, en période de pénurie de maind’oeuvre. «Sans augmentation du nombre d’heures travaillées par jour, ce modèle aurait pour conséquence une baisse de productivité, il faudrait engager plus de personnes. Alors qu’il est déjà difficile de recruter…»

La semaine de quatre jours est une façon parmi d’autres de fidéliser les talents, moins de les attirer, estime pour sa part le patron d’Assymba: il n’en parle pas à l’embauche et les nouveaux doivent attendre une année pour bénéficier de cette flexibilité: «Pour produire sur quatre jours comme sur cinq, il faut avoir travaillé sur cinq», estime Patrick Tundo. A un horizon plus lointain, soit une trentaine d’années, Cédric Tille juge cependant «probable» que le modèle devienne plus commun. «La durée de travail hebdomadaire est à la baisse. Pour les postes à temps plein, le temps de travail a baissé de 5% entre 1991 et 2019. C’est une tendance de fond, mais cela ne peut pas se faire rapidement», juge-t-il.

Alors, si Lucas veut poursuivre le «projet 47» (quatre jours sur sept), il n’a pour l’instant pas beaucoup d’autres options que son employeur actuel. «Aujourd’hui, c’est un confort dont je pourrais plus difficilement me passer», sourit-il.

«Il ne faudrait pas que ça devienne un jour une règle contraignante»

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