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Le défi de la BCE, prise entre la hausse des prix et la menace d’une crise de la dette

La seule annonce d’un tour de vis en juillet a conduit à une hausse des taux pour certains pays de la zone euro. La Banque centrale européenne ne peut pas voler à leur secours aussi facilement qu’en 2012

CÉDRIC TILLE, PROFESSEUR D’ÉCONOMIE M. F.

Ce n’est pas la hausse des taux d’intérêt qu’attendent les experts lors de la prochaine réunion de la Banque centrale européenne (BCE) fin juillet. Ce tour de vis, de 25 points de base, est considéré comme quasiment acquis. C’est le plan anti-fragmentation de l’institution qui concentre toute l’attention.

Anti-fragmentation? C’est le jargon européen pour décrire une situation où des pays de la zone euro doivent payer des taux d’intérêt beaucoup plus élevés que d’autres sur leur dette. Leur situation financière devient de fait plus compliquée. C’était le cas lors de la crise de l’euro en 2011-2012. Alors que la BCE s’apprête à relever ses taux, cette inquiétude revient et se traduit déjà par un tel écartement des taux d’intérêt, notamment entre les obligations souveraines allemandes, jugées très sûres, et italiennes, considérées comme moins sûres vu les perspectives économiques et l’importance de la dette en Italie. Cet écart est à son plus haut depuis 2013.

BCE timide

Lors de la crise de l’euro, la réponse avait été donnée par la désormais célèbre promesse de sauver l’euro «quoi qu’il en coûte» («whatever it takes») de Mario Draghi, alors président de la BCE. Cet engagement avait suffi à calmer les marchés. Mais, avec la flambée de l’inflation au-dessus de 8% en mai, l’institution désormais dirigée par Christine Lagarde est dans une situation bien plus complexe: elle ne peut plus simplement s’engager à racheter de la dette des pays en difficulté pour éviter la hausse de leur taux d’intérêt, puisque cela accroîtrait les liquidités dans le système et, donc, les risques inflationnistes.

«La BCE s’est montrée timide face à l’inflation pour l’instant, notamment parce que relever les taux sans provoquer de fragmentation est un énorme défi», estime Cédric Tille, professeur d’économie à l’Institut des hautes études internationales et du développement. La BCE a tenu une réunion extraordinaire mi-juin et annoncé ensuite travailler à un outil anti-fragmentation qui doit être présenté lors de sa prochaine réunion fin juillet. Aucun détail n’est connu. Avant cela, elle avait glissé qu’elle pourrait réinvestir de «manière flexible» les obligations arrivant à maturité dans le cadre de son programme de rachat de titres lancé pendant la pandémie, PEPP.

Pour Cédric Tille, elle pourrait même vendre de la dette allemande et garder plus longtemps des obligations des pays périphériques. «Cela provoquerait un rééquilibrage du portefeuille. Mais je n’aimerais pas être à leur place: ils sont presque condamnés à faire quelques faux pas. Or une fragmentation est dangereuse, parce qu’elle peut provoquer un effet de panique.»

Plusieurs problèmes

La BCE fait en outre face à plusieurs problèmes, estime de son côté Gero Jung, chef économiste de Mirabaud. Cette solution d’apparence simple qui consiste à vendre des obligations jugées sûres, allemandes ou françaises, mais à garder, voire racheter, des titres italiens pose d’abord un problème opérationnel: la Bundesbank allemande sera-t-elle d’accord de le faire? Alors que les taux ont déjà augmenté en Allemagne aussi, s’interroge l’expert. S’ajoute un obstacle légal, poursuit-il: en décembre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a affirmé que la BCE ne devait pas détenir la majorité d’une obligation souveraine d’un pays. Or, la moitié de la dette néerlandaise lui appartient déjà. Pour l’Italie, elle se rapproche déjà du tiers. «Le marché le sait, et c’est un risque», ajoute l’économiste.

La BCE doit également se poser la question de la conditionnalité de l’aide. En 2012, elle avait mis au point un programme, OMT, où elle pouvait acheter des obligations de pays en difficulté si ces derniers acceptaient des conditions sur leur gestion des finances. Le mécanisme n’a jamais été utilisé, précisément parce qu’aucun pays ne souhaitait se soumettre à cette forme de tutelle budgétaire. Il y a peu de chances qu’ils aient changé d’avis sur ce point. ■

«La BCE s’est montrée timide face à l’inflation, notamment parce que relever les taux sans provoquer de fragmentation est un énorme défi»

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2022-07-01T07:00:00.0000000Z

2022-07-01T07:00:00.0000000Z

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