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L’Occident plongera-t-il dans la récession?

Face à une inflation qui flambe, les banques centrales augmentent leurs taux d’intérêt, au risque d’imposer un coup de frein trop fort à l’économie. Les signes d’un ralentissement se multiplient déjà

MATHILDE FARINE, ZURICH @mathildefarine

Nombre de banques centrales, la Réserve fédérale américaine (Fed) en tête, se sont attaquées à une tâche délicate: endiguer une inflation qui flambe, sans donner un coup de frein trop violent à leur économie. Président de l’institution, Jerome Powell est de moins en moins optimiste: lors d’une audition la semaine dernière, il a admis que la récession était «certainement une possibilité», soulignant l’engagement «inconditionnel» de la Fed à lutter contre l’inflation.

Alors que l’attentisme face à l’inflation inquiétait ces derniers mois, c’est maintenant ce mot «inconditionnel» qui nourrit les préoccupations et affole les marchés financiers. Car cet empressement à lutter contre le renchérissement, quasiment à tout prix, va peut-être désormais trop loin. Une Fed débordée par l’inflation pourrait même vouloir fabriquer une récession pour freiner cette hausse des prix qu’elle a trop longtemps sous-estimée, soupçonnent même les analystes les plus méfiants.

Atterrissage en douceur?

Lundi, la Banque des règlements internationaux, la banque centrale des banques centrales basée à Bâle, a d’ailleurs été claire: les grands argentiers doivent «agir de manière décisive» et «sans tarder» contre la flambée des prix. Un atterrissage en douceur de l’économie serait préférable, a admis son directeur, Agustin Carstens, mais «la priorité doit être de combattre l’inflation». Restée stable en mai à 6,3%, selon l’indicateur PCE suivi par la Fed, l’inflation est d’abord venue de goulets d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement, puis des prix de l’énergie avec la guerre en Ukraine, avant de se répandre dans d’autres segments.

La tâche est ardue parce que, comme le rappelle Cédric Tille, professeur d’économie à l’Institut des hautes études internationales et du développement, «nous sommes face à une crise de l’offre et les banques centrales ont des outils pour piloter la demande, pas l’offre». Contrairement à une crise financière, par exemple, où elles peuvent agir en stimulant la demande, elles sont donc beaucoup plus limitées ici. Tout ce qu’elles peuvent faire, poursuit l’économiste, c’est limiter la casse en freinant l’inflation. «Ce n’est pas populaire et c’est pour cela que les banques centrales sont indépendantes», ajoute-t-il.

De fait, l’économie commence à avoir du plomb dans l’aile. «Face à la normalisation monétaire accélérée de la Fed, l’économie américaine donne des signes de ralentissement marqué. La détérioration de certains indicateurs (enquête de confiance des ménages de l’Université du Michigan, enquête sur le climat des affaires de la Fed de Philadelphie) semble annoncer une récession», souligne un analyste de BNP Paribas dans une note.

Des signes apparaissent dans les indicateurs économiques, mais aussi dans les cours de certaines matières premières. Ainsi, les prix des métaux industriels pourraient enregistrer leur pire dégringolade en un trimestre depuis la crise financière de 2008. Le cuivre, par exemple, encore à un niveau record il y a quatre mois, est désormais retombé à son plus bas depuis janvier 2021. Il est souvent considéré comme un indicateur de l’activité économique car il sert en particulier à la fabrication de circuits électriques.

«On se fait peur»

Les économistes rivalisent de calculs pour déterminer la probabilité d’une récession, mais beaucoup d’entre eux croient encore qu’on y échappera aux Etats-Unis et en Europe. «Nous avions bien passé le cap de la pandémie, l’économie était même presque en surchauffe et on l’avait peut-être un peu trop stimulée, reprend Cédric Tille. Pour lui, il faut s’attendre à un ralentissement, mais pas forcément à une récession: on se fait un peu peur avec ça.»Une récession est relativement peu probable à court terme, affirme aussi Gero Jung. Le chef économiste de Mirabaud note que certains chiffres, comme la production industrielle aux Etats-Unis qui a montré en juin une contraction, sont peu engageants. Mais d’autres, liés au marché immobilier et aux commandes de biens durables, ont été plus encourageants. «Le marché du travail reste solide, la croissance des salaires est robuste et l’épargne représente un coussin qui limitera le ralentissement», estime-t-il.

Ralentissement en Suisse

Quant à l’Europe, des signes d’une baisse de régime apparaissent et pourraient conduire la Banque centrale européenne (BCE) à relever les taux de façon plus graduelle qu’anticipé, poursuit Gero Jung, qui prévoit un ralentissement important de la croissance dans la zone euro. Une hausse des taux de 25 points de base est attendue fin juillet et ferait remonter le taux de dépôt à -0,25%, puis une autre, qui pourrait être de 50 points de base, en septembre.

La Suisse, elle, s’en tire mieux sur le front de l’inflation (+2,9% en mai), de la dette, qui reste à des niveaux bas en comparaison internationale, mais aussi sur celui de l’activité économique. «On s’attend aussi à un fléchissement, mais à 2% cette année, la croissance devrait être honorable», reprend Gero Jung. La Banque nationale suisse, elle, prévoit une progression du PIB de 2,5%. Pour autant, les signes de ralentissement sont aussi là: jeudi, le KOF, l’institut de prévisions conjoncturelles de l’EPFZ, publiait son baromètre conjoncturel, en baisse pour la deuxième fois consécutive. ■

«L’économie américaine donne des signes de ralentissement marqué. La détérioration de certains indicateurs semble annoncer une récession» UN ANALYSTE DE BNP PARIBAS

ECONOMIE & FINANCE

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2022-07-01T07:00:00.0000000Z

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