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La variole du singe en trois questions

Un panel d’experts suisses et internationaux s’est entretenu le 29 juin sur les grandes questions entourant l’épidémie de variole du singe. L’occasion d’en savoir plus sur son évolution, son mode de transmission et la vaccination

SYLVIE LOGEAN @sylvielogean

Alors que le Covid-19 continue à faire des siennes, une autre maladie infectieuse, la toujours mal nommée «variole du singe», commence sérieusement à faire parler d'elle. A ce jour, près de 4700 cas ont été signalés dans une cinquantaine de pays, dont 81 en Suisse. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), c'est la première fois que des cas et des «clusters» sont signalés simultanément dans cinq des six régions de l'OMS, avec l'Europe comme épicentre.

Le Centre multidisciplinaire des maladies infectieuses de l'Université de Berne a convié cinq experts, sur l'invitation de l'épidémiologiste bernois Christian Althaus, à participer mercredi soir à une discussion audio diffusée en direct sur Twitter autour de la variole du singe. Morceaux choisis en trois questions:

1 Que sait-on sur l’origine de la variole du singe et son évolution?

La variole du singe a été identifiée pour la première fois dans les années 1950 au sein d'un élevage de singes de laboratoire au Danemark – d'où son nom –, puis a été détectée en 1970 chez l'être humain, chez un enfant de 9 mois en République démocratique du Congo. Relativement marginale entre les années 1970 et 1980, l'incidence de la maladie a fortement augmenté depuis les années 2000. «En raison de l'arrêt des programmes de vaccination contre la variole dans les années 1970 et 1980, on s'attendait à ce que cette pathologie puisse se propager plus largement, c'est peut-être ce que nous constatons aujourd'hui», a expliqué Christian Althaus.

Appartenant au genre appelé «orthopoxvirus», la variole du singe est un virus à ADN. «Cela signifie que ce virus se comporte différemment du SARS-CoV-2, qui est un virus à ARN, a pointé Emma Hodcroft, épidémiologiste moléculaire à l'Université de Berne et codéveloppeuse du réseau Nextstrain, une plateforme qui suit en temps réel l'évolution de différents pathogènes. Par exemple, il mute beaucoup plus lentement.»

Source d'inquiétude, la souche du virus à l'origine de l'épidémie actuelle présente davantage de mutations par rapport à ce que les spécialistes pouvaient attendre pour un orthopoxvirus, comme l'a montré une récente étude conduite par une équipe portugaise dans Nature Medicine. «Cela peut sembler alarmant, mais le type et la localisation de ces mutations, qui sont très spécifiques, nous donnent une idée de la façon dont elles ont pu se produire, a tempéré Emma Hodcroft. Nous pensons que la plupart de ces mutations sont des sortes de «cicatrices» liées au système de défense de l'hôte contre le virus, et que ce ne sont pas nécessairement des signes de changements fonctionnels. Ces mutations sont intéressantes pour suivre l'évolution du virus, mais elles ne sont, pour l'heure, pas préoccupantes.»

De nombreux experts mettent toutefois en garde: comme pour le SARS-CoV-2, plus le virus circule longtemps, plus il a de chances de s'adapter. Une bonne raison de limiter au maximum sa circulation.

2 Qu’en est-il de la stratégie vaccinale?

Les virus de la variole et de la variole du singe possèdent certaines caractéristiques communes, même s'ils sont différents sur bien des aspects, comme leur gravité respective. La variole du singe est ainsi considérée comme bien moins dangereuse (avec un taux de létalité d'environ 3 à 6% selon l'OMS) que la variole, éradiquée en 1980.

A noter qu'il n'existe pas de vaccin spécifique contre la variole du singe. Néanmoins, en raison de ce que les experts considèrent comme «une forte réactivité antigénique croisée», les vaccins contre la variole de troisième génération autorisés en Europe et aux Etats-Unis offrent une bonne protection (environ 85% d'efficacité) contre la variole du singe.

«Les personnes qui ont été vaccinées il y a une quarantaine d'années présentent toujours une réponse immunitaire spécifique au virus de la variole, qui devrait également les protéger partiellement contre la variole du singe et éviter des formes graves de la maladie», a relevé la professeure Asisa Volz, virologiste à l'Université de médecine vétérinaire de Hanovre (Allemagne).

Et pour ceux qui n'ont pas été vaccinés? Jusqu'à présent, la vaccination était principalement proposée aux personnes présentant une exposition connue à cette maladie. Les autorités sanitaires américaines ont néanmoins annoncé, le 28 juin, la distribution immédiate de 56 000 doses de vaccin ainsi qu'un élargissement des recommandations aux cas contacts ainsi qu'aux personnes ayant eu des comportements à risque dans les zones de forte propagation.

Une situation qui détonne avec la Suisse, où une vaccination contre la variole du singe n'est toujours pas autorisée, selon le site de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), qui précise qu'il existe la possibilité d'une administration «hors étiquette» pour des situations particulières. «Nous devons avoir accès à des tests gratuits, mais aussi à des traitements antiviraux et à des vaccins qui ne sont toujours pas disponibles en Suisse», a souligné Florian Vock, chef d'équipe à l'association Aide suisse contre le sida.

3 Que sait-on du mode de transmission?

La variole du singe est une maladie contagieuse, même si son taux de reproduction est moins important que celui de la varicelle. Pour rappel, la variole du singe se transmet par contact rapproché et prolongé entre personnes, via les sécrétions, les lésions présentes sur la peau et les matières ou objets contaminés (comme les surfaces, les vêtements ou les draps), ou de grosses gouttelettes respiratoires. Le virus de la variole du singe a par ailleurs récemment été isolé dans le liquide séminal de trois patients en Italie, néanmoins des recherches supplémentaires sont nécessaires pour déterminer si une transmission par l'échange de fluides sexuels est possible.

«De grands rassemblements, où les gens sont nombreux et les contacts cutanés fréquents, peuvent aussi favoriser la transmission de la variole du singe», a pointé la professeure Nicol Low, épidémiologiste à l'Université de Berne.

Précision importante, bien que la variole du singe ait davantage affecté, jusqu'ici, des hommes ayant des rapports avec des hommes multipartenaires, ce virus peut toucher n'importe qui, sans distinction d'orientation sexuelle, de genre ou d'âge, comme le confirment les cas récemment identifiés de variole du singe chez des enfants en âge de fréquenter l'école primaire en France et aux Pays-Bas.

Un point également sur les symptômes: après une période d'incubation de 5 à 21 jours, l'infection débute généralement par de la fièvre, des maux de tête, des douleurs musculaires ou encore une fatigue anormale. Généralement, les symptômes d'éruption cutanée apparaissent dans les 1 à 3 jours suivant l'apparition de la fièvre. Selon Santé Publique France, parmi les cas français investigués, 74% ont présenté une éruption génito-anale, 72% une éruption sur une autre partie du corps, 70% de la fièvre et 72% un gonflement des ganglions lymphatiques ou adénopathie. L'infection dure entre 14 et 21 jours, durant lesquels on peut encore être contagieux, raison pour laquelle la Belgique a instauré un isolement total de trois semaines pour les personnes concernées.

Toutefois, «contrairement au SARS-CoV-2, où environ un tiers des personnes touchées peuvent avoir une évolution totalement asymptomatique mais tout de même transmettre le virus, il est peu probable que la variole du singe soit transmissible avant l'apparition des symptômes», a détaillé Asisa Volz. ■

Comme pour le SARS-CoV-2, plus le virus circule longtemps, plus il a de chances de s’adapter

SCIENCE

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2022-07-01T07:00:00.0000000Z

2022-07-01T07:00:00.0000000Z

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