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Augmentation du pouvoir d’achat: la nouvelle tarte à la crème!

FRANÇOIS GABELLA VICE-PRÉSIDENT DE SWISSMEM

En fait, la Suisse, surtout romande, est en train de sombrer dans la psychose de la défense du pouvoir d’achat

Dans les années 1990, beaucoup de pays étaient préoccupés par le chômage, synonyme de tensions sociales et de dépenses importantes pour l’Etat. Tout naturellement, cette thématique a été empoignée dans de nombreux pays et, surtout en France, par les candidats aux différentes élections; ces derniers, tous bords confondus, ont promis moult recettes miracle. Les espoirs suscités ont été régulièrement douchés par la réalité et cela pour la simple raison suivante: la création d’emplois est une alchimie complexe de facteurs économiques (appelés chez nous conditions-cadres) qui stimulent la croissance, qui à son tour, crée suffisamment de confiance chez les consommateurs puis chez les entreprises pour que ces dernières se décident à embaucher. Comme la majorité des gouvernements n’a pas eu le courage d’entreprendre les réformes nécessaires afin de créer ces conditions propices à la croissance économique, les taux de chômage sont restés désespérément hauts.

Pire, les gouvernements, en Europe surtout, ont cédé aux sirènes de la rue en durcissant les conditions de licenciement, croyant ainsi préserver l’emploi. On a vu à quel point ces mesures se sont révélées vaines, voire contre-productives. En fait, les seuls emplois directement créés l’ont été dans l’administration dépendant directement des responsables politiques alors que le chômage ne reculait pas. Après des décennies de promesses non tenues, les gouvernants ont finalement reconnu leur incapacité à réduire le chômage et ce thème a progressivement disparu des thématiques électorales.

Récemment, une nouvelle chimère a vu le jour: l’augmentation du pouvoir d’achat. Pour commencer, accordons-nous sur sa définition: le pouvoir d’achat d’une population consiste en l’ensemble de ses revenus divisé par le nombre de citoyens; la question est dès lors de savoir d’où va venir cette miraculeuse augmentation du pouvoir d’achat généralisée. En effet, promettre une augmentation de ce dernier revient à dire que la population va gagner plus. De nouveau, l’implacable réalité économique fait qu’il existe deux manières d’y parvenir: la plus tentante consiste bien sûr en une augmentation de la dette publique sur le dos des générations futures pour financer la pratique de ce qu’on appelle l’«helicopter money» c’est-à-dire la distribution des deniers publics à tous vents. En fait, le vrai moyen de durablement juguler l’augmentation du coût de la vie est plus laborieux puisqu’il s’agit de réformer l’économie afin que cette dernière génère davantage de prospérité pour véritablement élever le niveau de vie général.

On pourrait penser que l’auteur de ces lignes s’acharne sur notre voisin français. En fait, la Suisse, surtout romande, est en train de sombrer dans la psychose de la défense du pouvoir d’achat. Ses défenseurs autoproclamés ont réussi à imposer ce thème dans les médias si bien que tous les partis se sentent maintenant obligés de proposer leur solution. Fait piquant, le premier à monter aux barricades si j’ose dire, fut Pierre-Yves Maillard, président de l’Union syndicale suisse qui a exigé des augmentations de salaires généralisées en… mai dernier afin de chauffer la salle en vue des négociations salariales de… novembre prochain! Le plus désarmant dans cette intervention n’est pas le positionnement précoce des syndicats par rapport au redémarrage de l’inflation mais la totale incohérence de leur positionnement vis-à-vis d’une des conditions-cadres les plus essentielles à la prospérité de la Suisse: nos relations économiques avec l’Europe. Monsieur Maillard et son parti, d’ailleurs partisans déclarés de l’adhésion à l’UE (!) ont contribué de manière décisive à saborder l’accord institutionnel alors que celui-ci aurait pu être déminé et accepté par le peuple suisse. Ce double discours malheureusement pas isolé illustre bien la facilité que certains ont à promettre l’argent du beurre tout en se désintéressant de la manière avec laquelle il devra être gagné.

Alors que la France est peut-être sur le point de nommer un ministre de l’Augmentation du pouvoir d’achat (on a bien un ministre de la Cohésion sociale à Genève dont la mission est analogue), force est de constater que l’inflation s’accélère en Suisse, notamment car les prix d’un certain nombre de ressources naturelles augmentent, et ce de manière probablement durable. On notera que dans le cas des énergies, ce n’est peut-être pas une si mauvaise nouvelle dans la mesure où leur coût constitue le levier principal qui permettra d’augmenter l’attractivité relative des énergies renouvelables.

Cependant, comme mentionné plus haut, la seule manière de faire face à une inflation importée reste l’augmentation de l’efficacité au sens large de notre économie. J’invite donc la population à prendre conscience de cette réalité et nos édiles politiques à redoubler de courage et d’ingéniosité pour stimuler notre tissu économique avec des mesures structurelles comme le soutien à la formation et à l’innovation, l’amélioration de l’efficacité de l’Etat, la stimulation de la concurrence intérieure, et naturellement nos relations économiques avec le monde.

En un mot comme en cent et comme disait Yvette Jaggi, conseillère nationale et syndique de Lausanne: «Ne mollissons pas!»

DÉBATS

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2022-07-01T07:00:00.0000000Z

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