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Egalité salariale: encore un effort

MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaume

Ce 1er juillet, la loi sur l’égalité salariale fêtera les 2 ans de son entrée en force. Son bilan? Mitigé. Si la majorité des entreprises de plus de 100 personnes ont pris leur tâche au sérieux, beaucoup d’entre elles se meuvent dans un seuil de tolérance de 5% de plus en plus controversé.

Les derniers chiffres de l’Office fédéral de la statistique (OFS), qui datent de 2020, font apparaître un écart salarial total – soit additionnant les parts explicables et non justifiables – de 10,8%, c’est-àdire entre 290 et 1900 francs par mois selon les classes de salaire.

TRAVAIL Deux ans après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi fédérale, le bilan est nuancé. L’économie a certes pris conscience de l’enjeu majeur qu’elle constitue et les grandes entreprises s’y conforment. Mais on ignore tout de ce qu’il en est dans les microentreprises

Ce 1er juillet, la loi sur l'égalité salariale a 2 ans. Est-elle ce «tigre de papier dénué de toute sanction» dénoncé par la gauche lors des débats parlementaires ou «un pas positif qui table sur la responsabilité des entreprises», comme l'estimait la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga? Le premier bilan apparaît nuancé. Un coup de sonde du Temps permet de constater que l'immense majorité des entreprises de plus de 100 personnes ont pris leur tâche au sérieux. Mais beaucoup se meuvent dans un seuil de tolérance de 5% de plus en plus controversé.

Les derniers chiffres de l'Office fédéral de la statistique, qui datent de 2020, font apparaître un écart salarial total – soit additionnant les parts explicables et non justifiables – de 10,8%, c'est-à-dire entre 290 et 1900 francs par mois selon les classes de salaire. Ce sont les femmes les plus qualifiées - celles qui accèdent aux plus hauts niveaux de responsabilités - qui sont le plus pénalisées: elles gagnent 16,8% de moins que les hommes. En points de pourcentage, ce différentiel se réduit, mais c'est une autre tendance qui inquiète Travail.Suisse: «La part inexpliquée de l'écart salarial est passé de 39,6% en 2008 à 44,3% en 2018. Ce différentiel qui augmente au lieu de se résorber est particulièrement préoccupant», déplore Valérie Borioli Sandoz, responsable de la politique de l'égalité au sein de la faîtière syndicale.

Un coup de sonde rassurant

De nouveaux chiffres à ce sujet seront communiqués d'ici à la fin 2022, annonce le Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes. En attendant, Travail.Suisse annonce qu'il prépare le lancement d'une liste noire des mauvais élèves de l'égalité au 1er juillet 2023, qui se basera sur les témoignages de lanceurs d'alerte. Entrée en vigueur voici deux ans, la loi donnait ce délai aux entreprises de plus de 100 personnes pour réaliser l'analyse de leur grille salariale, puis pour la faire valider par un auditeur externe. Lors de la troisième année qui commence, les employeurs doivent communiquer les résultats de leur enquête à leur personnel.

Le Temps a pris la température auprès de grands pourvoyeurs d'emplois. Le résultat est rassurant. Les grands distributeurs (Coop et Migros), les hautes écoles (l'EPFL et l'Université de Lausanne), les électriciens (Romande Energie et SIG) ou encore les médias (SSR et TX Group) affirment toutes et tous que, après qu'ils se sont livrés à l'exercice, leur grille salariale était conforme aux exigences de la loi. Mais il y a toujours des bémols: à Genève, les SIG se réjouissent que la comparaison soit même favorable de 0,3% aux femmes. Mais ils ne comptent que 21% de femmes au sein de leur personnel, où beaucoup de métiers restent des bastions masculins.

Même situation à l'Université de Lausanne, où les salaires comparables sont de 0,1% plus élevés chez les femmes. Mais en calculant la moyenne du volume global des salaires masculins et féminins, un écart de 14% reste favorable aux hommes. C'est dû au fait que, dans les plus hautes sphères de revenus, les femmes sont encore peu présentes. L'Université de Lausanne ne compte ainsi que 27% de professeures.

Au-delà de la principale critique faite à la loi, soit l'absence de toute sanction en cas de non-respect, un autre problème a surgi, celui du seuil de tolérance. A l'origine, le module Logib de la Confédération a été choisi lors d'une phase pilote menée avec cinq entreprises. En 2011, une première évaluation des contrôles effectués dans les marchés publics de la Confédération a conclu qu'un seuil de 5% était «raisonnable». Or, plusieurs entreprises s'abritent désormais derrière cette marge de tolérance pour se déclarer conformes à la loi. C'est le cas de la SSR, par exemple: le service public audiovisuel souligne qu'il a signé la Charte pour l'égalité salariale dans le secteur public et qu'il effectue chaque année une analyse des salaires approfondie avec le logiciel Logib. En 2021, la différence de salaire inexplicable était de 2,5%. «Des différentiels allant jusqu'à 5% sont considérés comme acceptables. La SSR atteint donc une bonne valeur, mais elle souhaite pouvoir améliorer encore ce niveau», communique-t-elle. A Zurich, TX Group adopte le même raisonnement: «Notre analyse n'a pas révélé d'écart inexpliqué supérieur à 5% en défaveur des femmes, de sorte que nous considérons l'égalité comme atteinte, même si le but reste de réduire les discriminations qui subsistent encore», déclare le groupe.

Des experts plus sollicités

L'an passé, le Bureau vaudois de l'égalité a commandé une étude pour savoir si cette marge de tolérance était encore justifiée. Après une analyse faite auprès de 2900 entreprises, il est apparu que 80% d'entre elles étaient dans les clous de la loi avec un seuil de 5%, mais qu'elles n'étaient plus que 50% sans cette marge. Conclusion du rapport: «Une réduction, voire une suppression de ce seuil de tolérance serait envisageable.» La syndicaliste Valérie Borioli Sandoz partage cet avis. «Oui, il faut abandonner ce seuil qui n'existe pas dans la loi. Nous avons aujourd'hui des outils plus fins que Logib pour analyser les salaires. Le maintien de cette marge comporte le danger de reconnaître implicitement qu'une discrimination salariale de 5% serait acceptable», insiste-t-elle.

Une chose est sûre: «De manière générale, toutes les entreprises, grandes et petites, ont pris conscience que l'égalité salariale était un enjeu majeur», résume Marco Taddei, responsable romand de l'Union patronale suisse (UPS). L'impression est confirmée par le Bureau fédéral de l'égalité à Berne, qui relève que ses experts ont été beaucoup plus sollicités que par le passé sur ce thème. «Cette situation inédite montre que la loi a déjà déployé certains effets», note sa cheffe, Sylvie Durrer. Mais dans la foulée, tout le monde reconnaît aussi qu'il manque des données sur les plus petites des PME, ces microentreprises de 1 à 9 personnes qui n'ont pas de structure professionnelle des ressources humaines. Or, elles représentent à elles seules 90% des entreprises en Suisse.

«Cette marge comporte le danger de reconnaître qu’une discrimination salariale de 5% serait acceptable»

VALÉRIE BORIOLI SANDOZ, RESPONSABLE DE LA POLITIQUE DE L’ÉGALITÉ CHEZ TRAVAIL.SUISSE

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2022-07-01T07:00:00.0000000Z

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