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Huit ans ferme pour un Bandido

Vingt-deux motards appartenant à deux gangs rivaux étaient jugés hier suite à une rixe sanglante intervenue en 2019. Ils écopent de peines allant de quelques mois avec sursis à près d’une décennie derrière les barreaux

BORIS BUSSLINGER ET ALEXANDRE STEINER, BERNE @BorisBusslinger | @alexanstein

C’est face à une audience particulièrement testostéronée que s’est tenu ce jeudi le jugement relatif à une bagarre de 2019 ayant opposé les Hells Angels aux Bandidos. Larges nuques aux bras tatoués, blousons de cuir des «anges de l’enfer» et policiers en tenue antiémeute: la salle d’audience était prête pour une bataille rangée. Suite à plusieurs jours d’audience émaillés de heurts impressionnants aux abords du tribunal fin mai, les divers protagonistes sont cependant restés calmes face au président de la cour. Qui est entré dans le vif du sujet sans attendre.

«Huit ans de prison», tranchet-il concernant l’accusé numéro un, un Bandidos. Celui-ci est reconnu coupable de tentative d’homicide par dol éventuel et de rixe. Le deuxième prévenu principal, Bandidos également, était passible d’une peine de même longueur. Il n’écopera finalement que de 8 mois ferme. Enfin, le troisième accusé au centre de la procédure, toujours un Bandidos, est, lui, condamné à une peine de prison ferme de 14 mois. Les dizaines d’autres motards ayant participé à la rixe de mai 2019 écopent, quant à eux, de peines de prison allant de 2 à 12 mois. Certaines avec sursis, d’autres fermes.

«Il n’est pas tolérable que des gens se fassent justice euxmêmes dans notre société, fustige le président du tribunal depuis son pupitre. Cela n’a pas sa place en Suisse.» Dix minutes de jugement inaugurales ont été suivies de plus de quatre heures de précisions sur les considérants, agrémentés de détails parfois hauts en couleur sur le style de vie adopté par certains prévenus. L’affaire pourrait ne pas s’arrêter là: un recours est encore possible devant l’instance supérieure, a confirmé à la fin de l’audience Beat Luginbühl, avocat des loubards bien connu en Suisse alémanique.

Scène de western

Mais que s’est-il passé en 2019? Le 11 mai, à Belp, dans la banlieue de Berne, un groupe d’une quarantaine de motards s’affrontent. D’un côté, les Hells Angels et leurs alliés, les Broncos. De l’autre, les Bandidos. Motif de la mêlée: les «bandits» se sont récemment installés en Suisse, où ils ont souhaité ouvrir un local en terres bernoises – un «chapitre», disent les connaisseurs du jargon. Présents depuis 1970 dans le pays, les Hells Angels et leurs partenaires Broncos n’apprécient pas cette nouvelle concurrence et décident d’intimider les Bandidos. Toutefois les choses ne se déroulent pas comme prévu. Bien informés, les «Bandits» percent à jour leur stratagème et se préparent à la visite de courtoisie, qui dérape en affrontement généralisé. Les scènes décrites lors des premières étapes du procès au Tribunal régional de Berne-Mittelland ont tout du western bernois. Les motos à la place des chevaux.

Lors de l’altercation, le principal accusé (Bandidos) aurait tiré plusieurs coups de feu sur ses adversaires, blessant un homme au ventre et atteignant une voiture. Le deuxième homme (également Bandidos) aurait, lui, poignardé à plusieurs reprises un rival à terre, dans le dos, avec un couteau de 22 cm. Alors que le troisième (toujours Bandidos) aurait fouetté un opposant

«Il est important que les choses se passent selon nos règles et pas celles des clubs» PHILIPPE MÜLLER, CONSEILLER D’ÉTAT PLR CHARGÉ DE LA SÉCURITÉ

avec un câble électrique à une quinzaine de reprises. Certains des accusés – notamment celui condamné à 8 ans de prison ce jeudi – étaient déjà bien connus des services de police. Les forces de l’ordre interpellent 34 personnes, dont 22 seront traduites en justice. Trois ans plus tard, leurs ardeurs ne semblent pas vraiment s’être refroidies au vu des larges échauffourées qui ont agité le centre-ville de Berne il y a quelques semaines.

Au premier jour du procès, en pleine journée, la police cantonale bernoise avait en effet dû tirer au canon à eau, sortir les sprays au poivre et décocher quelques balles en caoutchouc pour calmer l’un et l’autre camp, dont les membres échangeaient de copieux jets de pierres et de bouteilles – sous les yeux médusés des passants. Le lendemain, deux costauds s’étaient battus jusque dans l’entrée du tribunal et il s’en était fallu de peu que le chaos ne triomphe.

La police redoutait que la scène ne se reproduise. Or, les premières heures de la journée lui ont donné quelques sueurs froides. Dès 7 heures du matin, des centaines de motards s’étaient à nouveau réunies sur un parking non loin du tribunal, dont de très nombreux crânes rasés à l’apparence menaçante distribuant quelques injures à ceux qui avaient l’audace de s’approcher trop près. Les journalistes par exemple.

Il n’y aura cependant pas eu de débordements, au plus grand soulagement de Philippe Müller, conseiller d’Etat bernois chargé de la Sécurité présent aux abords du Palais de justice en milieu de matinée. «Il est important que les choses se passent selon nos règles et pas celles des clubs», souligne le politicien PLR. Qui ajoute que s’il est rassurant de constater que l’ambiance est calme devant le tribunal, «on ne peut pas exclure que les bandes rivales se retrouvent plus tard pour en découdre à un autre endroit.» Au moment d’écrire ces lignes, aucune information n’était disponible à ce sujet.

Prochain arrêt: Genève?

A Berne, des contacts préalables avec les forces de l’ordre auraient permis d’écarter les Bandidos du centre-ville, laissant les Hells Angels rouler des mécaniques et boire des bières seuls aux abords du tribunal – sans taper sur personne. Réaliste, Philippe Müller dit toutefois s’attendre à un retour des motards dans la capitale fédérale: «Puisqu’il est pratiquement certain que les avocats des prévenus feront appel devant l’instance supérieure.» A ce sujet, le ministre félicite ses troupes, qui n’ont pas chômé ces derniers temps.

«Ce procès s’ajoute à un agenda déjà très chargé pour les forces de l’ordre bernoises, qui ont été engagées récemment au WEF à Davos et qui seront aussi mobilisées en début de semaine prochaine lors de la conférence sur la reconstruction de l’Ukraine à Lugano, salue-t-il. C’est un grand travail qui leur est demandé.» Après avoir rôti au soleil en tenue d’intervention complète pendant plusieurs heures, les hommes et femmes en bleu n’auront ce jeudi pas dû prendre de nouveaux risques.

L’audience terminée, les centaines de Hells Angels réunis à proximité de la Reitschule ont refusé tout commentaire et les moteurs se sont rapidement mis à vrombir. Une moto a bloqué la route pour permettre aux autres engins de s’engager sur l’asphalte. Et tout le monde a décampé dans un assourdissant concert de pistons. Destination: inconnue. En attendant Berne souffle un peu, et les regards se tournent vers la Suisse romande. En mai, les mêmes clubs avaient échangé des tirs dans un bar de Plainpalais, entraînant plusieurs arrestations. Le prochain défilé de gros bras pourrait avoir lieu à Genève. Nul doute que les habitants s’en réjouissent. ■

«Il n’est pas tolérable que des gens se fassent justice eux-mêmes dans notre société» LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

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2022-07-01T07:00:00.0000000Z

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