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Qu’est-ce que la perpétuité incompressible infligée à Salah Abdeslam?

PAUL ACKERMANN, PARIS @paulac

FRANCE La principale question à propos du verdict des attentats du 13-Novembre était de savoir si la perpétuité incompressible, réservée aux meurtriers pédophiles, serait utilisée à l’encontre du seul membre encore en vie des commandos

Après dix mois d'audience, le verdict du procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris est tombé mercredi soir. La culpabilité des uns et des autres ne faisait pas beaucoup débat. La principale question était de savoir si la perpétuité incompressible serait utilisée, notamment à l'encontre de Salah Abdeslam. L'accusation avait effectivement requis à son encontre la plus lourde des peines prévues par le Code pénal français actuel.

Salah Abdeslam a été reconnu coupable de «meurtres en bande organisée, en relation avec une entreprise terroriste» en tant que «coauteur» des attentats. Seul survivant des commandos qui ont fait 130 morts, il a donc été condamné à la réclusion à perpétuité avec une période de sûreté incompressible. Après un début de procès provocateur, il s'était confondu en excuses et avait affirmé à plusieurs reprises ne pas être un «assassin» et avoir renoncé à tuer par «humanité». Mais la cour a considéré que son gilet explosif était «défectueux», remettant «sérieusement en cause» ses déclarations sur son renoncement.

«Peine de mort lente»

«Cette sanction est très lourde mais elle repose sur une idée simple: il y a une scène unique du crime, pilotée depuis la Syrie, coordonnée à Bruxelles», nous explique Denis Salas, magistrat, essayiste et président de l'Association française pour l'histoire de la justice. «Tous les sites font partie d'une même opération. Donc, en tant que coauteur, Abdeslam a participé à toutes les scènes, y compris celles où des policiers ont été visés comme au Bataclan.»

D'abord prévue pour des meurtres d'enfants accompagnés de viols, la «perpétuité réelle» instaurée en 1994 a été étendue en 2011 aux meurtres ou tentatives de meurtres sur personnes dépositaires de l'autorité publique. Onze des accusés du 13-Novembre étaient poursuivis pour complicité de tentatives de meurtres sur les policiers de la BRI intervenus au Bataclan, et encouraient donc cette peine. Au bout du compte, la peine a été utilisée à l'encontre de Salah Abdeslam et de cinq chefs de l'Etat Islamique présumés morts en Syrie.

La réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté incompressible rend pratiquement impossible tout espoir de libération avant la mort. Cette peine n'a été prononcée que quatre fois depuis sa création, exclusivement pour des meurtres d'enfants impliquant des crimes sexuels, comme dans le cas de Michel Fourniret, décédé en prison depuis.

La défense de Salah Abdeslam avait appelé à «faire la part des choses» et à éviter cette «peine de mort lente» jusqu'ici réservée aux «psychopathes». Pour ses avocats, ce Français de 32 ans n'était qu'un «exécutant déserteur».

«Philosophiquement, c'est une peine où il n'y a pas de fonction de réinsertion ou de réhabilitation, commente Denis Salas. C'est quasiment une peine d'élimination, même si à un horizon très lointain il y a une possiblité, qui n'est rien d'autre qu'une possibilité, de réenvisager une perspective de sortie.»

Car, si cette «perpétuité réelle» rend illusoire une demande d'aménagement de peine, le condamné peut, au bout de trente ans, exprimer le souhait de revenir sur cette impossibilité. «Il ne peut pas demander d'aménagement à un tribunal de l'application des peines, mais de la réviser, ce n'est donc pas totalement incompressible», commente Denis Salas.

Après la série d'attentats de 2015, la perpétuité «réelle» avait été élargie aux crimes terroristes en 2016, mais cette loi n'est pas rétroactive. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait validé ces nouvelles peines et l'ensemble des perpétuités existant en France, estimant qu'elles offraient un espoir de libération au détenu.

«Construction intellectuelle»

Si la sentence la plus lourde a été infligée à quelqu'un qui n'a directement tué personne, qu'aurait-on donné à des acteurs plus impliqués? La question est régulièrement revenue sur la table ces derniers jours. «Là où cette décision ne me paraît pas conforme à la justice, c'est que Salah Abdeslam écope de la même peine qu'Oussama Atar [commanditaire des attentats, ndlr] qui a été condamné exactement dans les mêmes termes», a fait remarquer un des avocats d'Abdeslam sur France Inter. «C'est toute l'argumentation et la construction du parquet national antiterroriste qui a été déterminante, répond Denis Salas. Elle correspond très exactement à ce qu'est le terrorisme: une opération construite, pensée, programmée, avec des auteurs interchangeables, projetant des attentats de masse. Abdeslam faisait pleinement partie de ce commando, il en était artisan, il n'a pas renoncé et il est donc partie prenante de toutes les scènes de crimes, même celles où il n'était pas. C'est une construction intellectuelle très forte qui manifestement a entraîné l'adhésion.»

Selon Denis Salas, en utilisant cet outil, la cour a fait preuve d'une «volonté de marquer une intransigeance vis-à-vis des auteurs principaux des attentats». Une «dimension dissuasive de la peine» écartée pour ceux dont la responsabilité était moindre. A l'égard de ces derniers, elle a fait preuve de clémence en introduisant «une dimension de réinsertion» dans son verdict.

Les condamnés et leurs avocats ont dix jours pour faire appel. En raison de la dureté de sa sentence, un recours de Salah Abdeslam est probable. «Je pense qu'ils vont le faire, comme ils avaient un argumentaire assez construit pour éviter cette peine, qui est la plus élevée de notre pays», nous dit Denis Salas.

Si la sentence la plus lourde a été émise à l’encontre de quelqu’un qui n’a directement tué personne, qu’aurait-on donné à des acteurs plus impliqués?

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