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Cour suprême, et maintenant le climat

VALÉRIE DE GRAFFENRIED, NEW YORK @vdegraffenried

Au sommet du pouvoir judiciaire américain, il a été décidé hier de limiter les moyens de l’Etat fédéral de lutter contre les gaz à effet de serre

■ Après le retour en arrière sur l’IVG la semaine dernière, cela représente un nouveau changement de cap au coeur de ce tribunal devenu très conservateur

■ Maison-Blanche, juges progressistes et défenseurs de l’environnement sont dévastés: la décision pourrait avoir un lourd impact sur le dérèglement climatique

■ Cette décision n’a rien d’anodin en pleine année électorale où les républicains espèrent retrouver, en novembre, une majorité au Congrès

La Cour suprême réduit désormais les moyens fédéraux pour limiter les émissions de Co2. Sa politisation extrême entache sa crédibilité

Après le port d'armes, l'avortement et la liberté religieuse, le climat! La Cour suprême poursuit sur sa lancée de décisions provoquant des ondes de choc aux Etats-Unis et bien au-delà. Sa politisation extrême – six juges conservateurs sur neuf, dont trois imposés par Donald Trump – fait une nouvelle fois des ravages et entache sa crédibilité.

Le verdict de la plus haute instance judiciaire du pays rendu public jeudi concerne la lutte contre le réchauffement climatique. Concrètement, la Cour a décidé de limiter les moyens de l'Etat fédéral de lutter contre les gaz à effet de serre. Elle estime qu'il ne revient pas à l'Agence pour la protection de l'environnement (EPA) d'édicter des règles pour réguler les émissions des centrales à charbon, responsables de la production de 20% de l'électricité aux Etats-Unis. Mais que c'est au Congrès d'adopter ces règles.

«Mettre une limite aux émissions de dioxyde de carbone à un niveau qui imposerait de renoncer, au niveau national, au charbon pour produire l'électricité pourrait être une solution pertinente à la crise d'aujourd'hui. Mais il n'est pas crédible que le Congrès ait donné à l'EPA l'autorité d'adopter une telle mesure», souligne le juge John Roberts dans son arrêt Virginie-Occidentale v. EPA.

Une des priorités du président

Alors que les Etats-Unis font figure de deuxième pollueur mondial après la Chine et juste devant l'Inde, la Maison-Blanche dénonce une décision «dévastatrice». Elle n'a rien d'anodin, en pleine année électorale où les républicains espèrent retrouver, en novembre, une majorité au Congrès.

Durant son mandat, Donald Trump avait imposé d'importantes économies à l'EPA et placé des climatosceptiques à sa tête, dont l'impopulaire Scott Pruitt. Il avait poussé l'agence à multiplier les décisions anti-protection du climat, pour privilégier les intérêts économiques. A peine élu, le président démocrate Biden a très vite cherché à inverser les décisions prises par Trump. Faisant de la lutte contre le réchauffement climatique une de ses priorités, il a surtout annoncé dès son premier jour de présidence la réintégration des Etats-Unis dans les Accords de Paris sur le climat. Mais voilà que la Cour suprême lui coupe les ailes. Joe Biden ne peut désormais plus qu'inviter le Congrès à «mettre l'Amérique sur le chemin d'un futur énergétique plus propre et plus sûr». Difficile avec le poids des républicains, qui pourrait prendre de l'importance en novembre.

Surtout, Joe Biden est désormais freiné dans ses efforts à la fois par le pouvoir judiciaire et par le pouvoir législatif. Le président espérait réduire les émissions de CO2 de moitié d'ici à 2030. Mais il doit déjà faire face au blocage, au Sénat, de son ambitieux Plan climat, législation qui vise à remplacer les centrales à charbon et gaz par des énergies éolienne, solaire et nucléaire, grâce à 300 milliards de dollars d'incitations fiscales. Ce blocage est notamment le résultat de l'obstruction d'un sénateur démocrate fortement impliqué dans l'industrie du charbon: Joe Manchin.

Désormais, les Etats-Unis, plus grand émetteur historique de gaz à effet de serre, pourraient donc voir leurs engagements climatiques sérieusement se ralentir, et, par ricochet affaiblir les efforts internationaux. Le secrétaire général de l'ONU s'est exprimé jeudi, pour dénoncer un «recul».

Le plan de Barack Obama

Concrètement, la Cour suprême revient sur une décision prise en 2007, où elle avait décidé, à une courte majorité, que l'EPA était bien l'autorité compétente pour réguler les émissions de gaz. La décision annoncée jeudi puise ses racines dans le Clean Power Plan adopté par Barack Obama en 2015, dont le but était d'accélérer la transition énergétique en imposant aux centrales thermiques des réductions des émissions de CO2 de 32% d'ici à 2030 par rapport au niveau de 2005. Un plan rapidement contesté en justice.

En 2019, Donald Trump avait déjà tenté de limiter l'action de l'EPA, pour mieux la contrôler. La décision a été invalidée par un tribunal. C'est alors que des gouverneurs républicains et producteurs de charbon se sont tournés vers la Cour suprême. Consciente des difficultés, l'administration Biden avait pourtant renoncé à ressusciter le plan Obama. Elle avait même demandé à la haute Cour suprême de déclarer le dossier caduc.

«Notre planète est en feu»

Jeudi, les réactions, satisfaites, ne se sont pas fait attendre du côté des gouverneurs républicains défenseurs des énergies fossiles à l'origine de la procédure. Mitch McConnell, le leader des républicains au Sénat, a salué le fait que la Cour suprême «rendait le pouvoir au peuple». Côté démocrate, l'heure est au désespoir. Et à la colère. «Notre planète est en feu et cette Cour suprême extrémiste détruit la capacité du pouvoir fédéral de se battre», dénonce la sénatrice Elizabeth Warren. Chuck Schumer, chef de la majorité démocrate au Sénat, accuse la Cour «réactionnaire et extrémiste» de renvoyer le pays «au temps où les requins de l'industrie avaient tous les pouvoirs».

Les trois juges progressistes de la Cour n'ont pas hésité à qualifier la décision d'«effrayante». La décision pourrait également toucher d'autres agences fédérales de régulation. «Les conséquences de cette décision se répercuteront sur l'ensemble du gouvernement fédéral, de la réglementation des aliments et des médicaments au système de soins de santé de notre pays, ce qui mettra la vie des Américains en danger. Il est donc d'autant plus impératif que les démocrates adoptent rapidement une législation significative pour faire face à la crise climatique», insiste Chuck Schumer.

Elle tombe peu après celle de révoquer l'iconique arrêt Roe v. Wade de 1973, qui garantissait aux Américaines le droit de pouvoir avorter jusqu'à la 22e semaine de grossesse. Où s'arrêtera la Cour? La crainte, désormais, est qu'elle puisse révoquer des droits importants acquis par la communauté LGBTQ, comme le mariage pour personnes de même sexe. Le juge conservateur Clarence Thomas a encouragé la Cour à agir en ce sens.

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2022-07-01T07:00:00.0000000Z

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