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Le Haut-Jura français, terre d’élection du tennis de table

Les pongistes du Jura Morez TT ont été champions de France en 2019 et vice-champions en 2021. Comment obtient-on de tels résultats dans ce coin un peu isolé? Réponse sur place, un soir de match

CHRISTIAN LECOMTE, MOREZ @chrislecdz5

Morez, au pied de la station des Rousses. La Suisse est proche, même si le Nyon - Saint-Cergue, le fameux petit train rouge NStCM dont Morez est le «M», ne va depuis 1958 pas plus loin que La Cure. La commune de 5000 habitants envoie chaque matin son lot de frontaliers vers Vaud ou Genève. Montagnes alentour et viaducs séculaires, voilà pour le décor. Des paquets de neige sur les trottoirs ce soir-là et une température largement négative.

Dans ces conditions, Salvador Uribe a été à peine surpris lorsque, en 2018, sa fiancée a claqué la porte sitôt les valises du couple posées dans le nouvel appartement. «On arrivait de Levallois-Perret, le contraste a été saisissant», se souvient-il. Avant la région parisienne, fief des époux Balkany où le sport d’élite était choyé, le couple vivait au Mexique, leur pays de naissance. On mesure le choc. La demoiselle s’en est allée. Salvador est resté. Bien lui en a pris. Car depuis il s’est marié avec une autre Mexicaine moins sensible au froid et a un enfant de 1 an. «Un petit Jurasso-Mexicain», sourit-il.

A la tête du Jura Morez TT, il peut se targuer d’avoir connu ici une réussite professionnelle fulgurante. Nommé entraîneur de l’équipe de tennis de table fin 2018, il décrochait le 15 mai 2019 avec ses joueurs le titre de champion de France en Pro A, l’élite du «ping» national. En 2021, il récidivait presque, échouant de peu à la deuxième place. Actuellement, les Moréziens sont classés cinquièmes, derrière les clubs de grandes agglomérations comme Angers, Caen ou Rouen. Le 21 décembre, jour de notre visite, Morez recevait un autre Petit Poucet, La Romagne. Une rencontre très attendue car le club de Maine-et-Loire, champion de France en 2018, joue les tout premiers rôles depuis dix ans.

Staccato derrière l’église

Pour l’étranger, se rendre au Gymnase de la Citadelle pour assister aux échanges est la première épreuve. On nous fait comprendre qu’il faut monter des marches derrière l’église. Elles sont nombreuses et raides. Dans un coin, des ados transis tirent sur des joints et font rouler des cannettes de bière. Une porte et de la lumière. Et aussitôt le bruit des balles comme un staccato. L’heure est à l’échauffement. Une salle de sport classique, avec parquet, tribune, cages de hand, filets de basket et publicités pour les entreprises locales. Dont celles, omniprésentes, de Philippe Girod.

Il est le président du club et à la tête de Girod Médias, qui fait dans la communication extérieure et la pub via le mobilier urbain. Son entreprise prospère. Sportivement, ce n’est pas mal non plus. Ce passionné de ping qui possède une licence en Suisse (pour jouer les tournois d’été, notamment ceux du ZZ Lancy à Genève) a repris le club en 2010, alors qu’il stagnait en Régional 1. «On est ensuite montés tous les ans, on a passé trois ans en Pro B et puis on a accédé à la Pro A avec le bonheur que l’on sait», résume-t-il.

Jura Morez TT, c’est en fait Philippe Girod. Il assure les deux tiers du budget du club. La région Bourgogne-Franche-Comté ne donne aucun sou, «alors que, hormis les handballeuses de Besançon, nous sommes les seuls à un tel niveau dans la région, tous sports confondus». Certes le département et la ville lâchent quelques subventions «mais pas grand-chose». «Le sponsoring et les dons compensent», poursuit-il.

«Il n’y a qu’une dizaine de pongistes français dans les dix clubs de Pro A, les autres viennent d’ailleurs» ROMAIN RUIZ, LA ROMAGNE, VICE-CHAMPION DE FRANCE 2021 EN INDIVIDUEL

Ne surtout pas croire que le tennis de table est le sport du pauvre. Car, pour prétendre au haut niveau, il faut recruter ce que le milieu du ping appelle des «mercenaires.» A savoir des joueurs étrangers payés de 20 000 à 100 000 euros par an selon leur niveau. Ils arrivent la veille des matchs, repartent le lendemain. EasyJet fait le reste en les transportant à des prix réduits. Joueur de La Romagne, Romain Ruiz, vice-champion de France 2021 en individuel, le dit: «Il n’y a qu’une dizaine de pongistes français dans les dix clubs de Pro A, les autres viennent d’ailleurs.» Jura Morez TT ne fait pas exception.

Composent son effectif: l’Anglais Paul Drinkhall, huitième meilleur joueur de la Pro A, le Slovène Bojan Tokic (n°10), le Finlandais Benedek Olah (n°15) et le Russe Kirill Skachkov (n°17). Tout cela forme une belle équipe le temps des rencontres. Ensuite chacun repart chez soi et joue à titre individuel pour des compétitions nationales, l’équipe nationale, des tournois à travers le monde dont, pour beaucoup, les derniers Jeux de Tokyo.

Sandwichs et vin chaud

Salvator Uribe (31 ans), lui, vit à temps plein à Morez. Il fut le numéro deux au Mexique avant d’être recruté par Levallois-Perret. Lorsqu’il s’est blessé (aux ligaments croisés), il a commencé à adresser des CV pour exercer ses diplômes d’entraîneur. Philippe Girod l’a contacté. Ils se sont vus, se sont plu, ont signé un contrat.

Sous sa coupe, une cinquantaine de licenciés (surtout des jeunes du pays) et un centre d’entraînement international qui vient d’ouvrir (des joueurs venus de Colombie, du Honduras, du Salvador et du Mexique). Mais c’est l’équipe de Pro A qui occupe une large partie de son temps avec des déplacements sur toute la France.

Le 21 décembre, le Jura Morez TT a réalisé un nouveau petit miracle. En l’absence de Paul Drinkhall, non autorisé à quitter Londres à cause de la pandémie, les Moréziens ont battu 3 à 2 les Romagnons emmenés par le Chinois Tianyuan et Nima Alamian (numéro 1 en Iran). Deux cents personnes en tribune et des bénévoles qui contrôlent les QR codes, tiennent la caisse (5 euros l’entrée) et à la pause vendent sandwichs et vin chaud. Philippe Girod installe la sono, fait parfois le speaker. «Ce club est vraiment familial», confie l’un des deux arbitres officiels (rétribués 30 euros la soirée plus les frais de transport pris en charge).

Dans les gradins, un fidèle raconte: «Ce que j’aime dans le ping, c’est tous ces joueurs qui viennent de partout, ça nous fait voyager.» Salvador Uribe espère que la notoriété grandissante du Jura Morez TT fera venir des investisseurs. «Nous n’avons pas de salle à nous, nous sommes à cheval sur deux gymnases de la ville. On doit plier les tables ici pour ensuite en déplier d’autres là-bas.» ■

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2022-01-28T08:00:00.0000000Z

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