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Le covid assèche les séjours linguistiques. Nos offres d’emploi

La situation sanitaire a amené nombre de jeunes à annuler ou interrompre leurs échanges universitaires et séjours à l’étranger ces deux dernières années. Et pour ceux qui sont partis, l’expérience a été particulière

JULIE EIGENMANN @JulieEigenmann ÉMILIE, 20 ANS

«Je n'avais aucune envie de partir, mais c'était ma dernière occasion de le faire.» Lucas, 27 ans, a fini l'an dernier ses études de droit à l'Université de Fribourg, après un séjour à Salzbourg en Autriche au printemps 2021. Le jeune homme, qui voulait progresser en allemand, avait déjà reporté son départ d'un semestre. Mais en mars 2021, il doit se rendre à l'évidence: en Autriche, le confinement strict dû au coronavirus est toujours une réalité.

Le programme européen Erasmus fête cette année son 35e anniversaire. En Suisse, c'est désormais le Swiss-European Mobility Program (SEMP) qui permet de maintenir les échanges d'étudiantes et étudiants en Europe, l'échec de l'accord-cadre ayant mis à mal la participation de la Confédération à Erasmus+ (un Erasmus «enrichi», en place depuis 2014).

Quoi qu'il en soit, ces séjours – qui ne sont donc plus à proprement parler des Erasmus – sont aujourd'hui souvent dépourvus de cours en présentiel, mais aussi des rencontres et sorties qui font le sel de cette expérience.

«Je n’ai jamais pu accéder au bâtiment de la faculté»

L'arrivée de Lucas en Autriche est difficile: il passe dix jours en quarantaine avec ses deux colocataires. Et quand il peut enfin sortir, aucun café, aucun bar n'est ouvert pendant plusieurs mois et tous les cours sont en ligne. «J'ai étudié à la faculté de droit, mais je n'ai jamais pu accéder à son bâtiment», regrette Lucas. La lumière au bout du tunnel vient de l'initiative d'autres étudiants en échange. «J'avais suivi deux semaines d'introduction en ligne depuis la Suisse. Certains ont créé des groupes WhatsApp pour organiser des visites culturelles et des randonnées. La proximité de cette petite ville avec la nature a permis beaucoup d'activités, raconte-t-il. Nous nous sommes vus presque tous les jours et nous avons partagé quelque chose de plus fort encore que dans des conditions normales, parce que nous étions un petit groupe où chacun était à la recherche de liens sociaux.»

Comme Lucas, de nombreux étudiants ont vu leurs séjours bouleversés par la pandémie. En particulier ceux qui prévoyaient un séjour à l'international plutôt qu'une destination européenne. Les chiffres en disent long: à l'Université de Genève, on constate par exemple 92 départs hors Europe pour le semestre d'automne 2021 contre 9 en 2020 et 148 en 2019. Pour l'Europe, il s'agit de 121, 97 et 145 personnes.

Beaucoup ont aussi reporté leurs séjours. A l'Université de Fribourg, on note 81 annulations pour les séjours en Europe en 2020-2021 contre seulement 32 en 2019-2020. Même constat du côté de l'Université de Lausanne, où, pour l'année 20202021, pour le seul programme SEMP (ex-Erasmus), il y a eu 132 annulations d'étudiants devant partir à l'étranger. A l'Université de Neuchâtel, en 2020-2021, 29 séjours ont été réalisés, et 21 annulés.

Des interruptions de séjours

Une nouvelle donnée apparaît dans les chiffres: l'interruption des séjours. En témoignent les rapports de Movetia, l'agence nationale pour la promotion des échanges et de la mobilité au sein du système éducatif.

Les dernières statistiques disponibles, pour l'année académique 2019-2020, révèlent que 2029 étudiants de l'enseignement tertiaire ont pu avoir une mobilité «normale», la grande majorité toutefois durant le semestre d'automne 2019. Ils sont 1229 étudiants à avoir suivi les cours d'une université étrangère en ligne, soit dans le pays d'accueil, comme Lucas, soit depuis la Suisse. Enfin, 81 d'entre eux ont interrompu leur séjour et 131 l'ont annulé. Ces interruptions «restent cependant minimes par rapport au total des départs», note Audrey Fasnacht, responsable relations médias pour Movetia.

Avec des cours en ligne et une vie sociale très restreinte, ces échanges sont-ils «à moitié vécus»? Audrey Fasnacht rappelle qu'ils représentent pour certains «une dernière chance de faire un échange. C'est mieux que rien. Mais évidemment ces séjours sont aussi en temps normal l'opportunité de développer des compétences transversales telles que l'autonomie, la flexibilité, ou encore la communication, toujours plus recherchées sur un CV mais aussi dans la vie.»

«Je ne regrette pas d’être partie, mais je me réjouissais que ça se finisse»

Toute une dimension de ces échanges peut difficilement exister en cette période, observe aussi Lucas Schneeberger, membre du comité national d'Erasmus Student Network, organisation étudiante pour l'intégration des étudiants internationaux lors d'échanges. «Certains ont l'impression qu'on leur a volé leur opportunité de mobilité, avec cette explosion de contacts, qui ne se présente souvent qu'une fois dans une vie.»

Une barrière à la rencontre avec des locaux

L'impossibilité de rencontrer des locaux représente l'un des principaux problèmes: «Beaucoup disent ne pas regretter leur séjour, ils ont quand même pu rencontrer du monde dans leur résidence étudiante par exemple. Mais il s'agit surtout d'internationaux et le but est aussi de faire en sorte que locaux et internationaux se parlent», détaille Lucas Schneeberger.

Emilie, 20 ans, a, elle, pu être au contact de locaux lors de son séjour de dix mois en Allemagne. Mais de façon très limitée. C'est que la jeune femme, qui étudie aujourd'hui à la Haute Ecole pédagogique à Delémont, est partie travailler comme jeune fille au pair dans une famille allemande à partir de septembre 2020. «En novembre, tout a fermé jusqu'au mois d'avril. J'avais par exemple commencé le basket, je n'ai pas pu continuer.» Elle suit des cours d'allemand pendant quatre mois en ligne.

La jeune femme s'entend très bien avec sa famille d'accueil, mais passer tout son temps à la maison lui pèse. Elle ne peut rencontrer personne, hormis une camarade, jusque-là virtuelle, de son école et une amie qui habite dans une ville à proximité. Mais se voir dehors est complexe en hiver.

A-t-elle envisagé de rentrer? «Non, je l'aurais vu comme un échec, répond Emilie. Mais je me réjouissais que ça se finisse.» Elle ne regrette cependant pas d'être partie. Et l'Allemand, elle l'a appris.

La colocation germanophone de Lucas, à laquelle il tenait absolument, ainsi que ses cours d'allemand, lui ont permis de décrocher un emploi à Berne. Il pense par contre que les cours suivis en ligne, «dans lesquels on s'implique forcément moins», lui apporteront peu. Mais son expérience reste «formidable». Il faut dire que Lucas est tombé amoureux de la ville, mais pas seulement. Il retourne aujourd'hui régulièrement à Salzbourg pour retrouver sa copine, rencontrée en échange. En pleine pandémie.

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2022-01-28T08:00:00.0000000Z

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