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Le chimpanzé doit singer son prochain pour innover

D. D.

En Guinée, certains chimpanzés savent depuis longtemps comment casser des noix avec des pierres. D’autres n’en ont aucune idée. Pourquoi? Parce qu’ils n’ont jamais vu de congénères procéder de la sorte. Une nouvelle étude montre l’importance de l’apprentissage culturel chez ces singes.

Casser des noix avec des pierres est une activité fréquente chez le chimpanzé. Pourtant, ceux de Seringbara, en Guinée, ignorent les outils et les noix déposés à leur intention. Il leur manquerait un exemple, estiment des scientifiques dans «Nature Human Behaviour»

A Bossou, en Guinée, Kathelijne Koops avait observé pendant sa thèse à quel point les chimpanzés raffolent des noix de palme, qu’ils cassent à longueur de journée. Une activité composite puisqu’elle demande de coordonner ses gestes et de gérer trois objets: il faut placer la noix sur une pierre en guise d’enclume, puis la frapper avec un autre caillou faisant office de marteau.

A six kilomètres de distance

Aujourd’hui primatologue au département d’anthropologie de l’Université de Zurich, Kathelijne Koops a cherché à comprendre pourquoi, à six kilomètres de là, les chimpanzés de Seringbara ne mangent pas de noix, alors qu’il en tombe aussi de certains arbres. «C’est sans doute parce qu’elles sont moins abondantes qu’ailleurs. Nous avons donc discrètement déposé des noix et des pierres sur des sites qu’ils fréquentent et suivi leurs réactions à distance, à l’aide de pièges photographiques», raconte Kathelijne Koops. Intrigués, les animaux sont venus observer ces objets et parfois même s’en emparer. Mais sans jamais tenter de casser les noix offertes. «Dans un second temps, nous avons même placé des noix fermées et ouvertes à côté des pierres, mais rien n’y a fait.»

La force de l’exemple

Ces expériences cumulées ont au total duré deux ans, sans qu’une seule noix soit brisée: ces chimpanzés se sont avérés incapables d’innover. Mais alors, pourquoi d’autres pratiquent-ils assidûment cette activité? «Nos expériences démontrent le rôle important joué par la force de l’exemple, un comportement culturel. Les jeunes singes de Bossou voient faire les autres, alors ils les imitent.» Un apprentissage qui n’est plus possible à l’âge adulte car le cerveau du chimpanzé n’est plus assez plastique pour apprendre une tâche aussi complexe. «Une des femelles a dû rejoindre le groupe de Bossou à un âge trop avancé pour acquérir ce savoir-faire, c’est sans doute pour cela qu’elle ne casse pas de noix.»

Transmission culturelle

Quand les chercheurs ont commencé à travailler à Bossou, dans les années 1970, les singes mangeaient déjà des noix. A quand pourrait remonter cette habitude alimentaire? «C’est probablement très ancien. Des fouilles dans un autre site fréquenté par des chimpanzés, en Côte d’Ivoire, ont montré des restes de noix cassées datés d’environ 4300 ans! Il y a sans doute eu, il y a très longtemps, un événement qui les a incités à le faire, ou un animal plus malin qui a compris comment faire; ce savoir s’est ensuite culturellement transmis à travers les âges.» Les chimpanzés seraient donc culturellement dépendants, comme les humains le sont.

«Certains scientifiques considèrent que l’apprentissage par la culture est une caractéristique unique des humains, et que les singes se contentent simplement de réinventer des comportements complexes, insiste Kathelijne Koops. Mais nous montrons que ce n’est pas le cas: le chimpanzé aussi a besoin de mimer le comportement de ses congénères pour acquérir un savoir-faire complexe.» Il est lui aussi un animal culturel! ■

«Le chimpanzé aussi a besoin de mimer le comportement de ses congénères pour acquérir un savoir-faire complexe» KATHELIJNE KOOPS, PRIMATOLOGUE

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2022-01-28T08:00:00.0000000Z

2022-01-28T08:00:00.0000000Z

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