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Une baisse d’impôt bonne à prendre

BERNARD WUTHRICH @BdWuthrich

Un impôt vieux de 100 ans est-il encore d’actualité? Non, répondent les leaders de l’économie, qui militent en faveur de l’abolition du droit de timbre d’émission sur le capital propre. Oui, répond le camp rose-vert, opposé à l’abandon de cette ressource financière publique, qui ne rapporte «que» 250 millions de francs par an, soit 0,3% du budget de la Confédération. La population est invitée à s’exprimer sur ce sujet complexe le 13 février.

Depuis près d’une décennie, les associations faîtières de l’économie et le PLR se démènent pour faire disparaître les droits de timbre. Comme les trois tuyaux de cet impôt canalisent, ensemble, entre 2 et 2,4 milliards par an vers la caisse fédérale, leur abandon complet n’est pas envisageable. C’est pourquoi le parlement s’est limité à la suppression du droit d’émission, perçu lors d’une injection de fonds propres.

Contrairement à ce qu’affirme le camp référendaire, cette mesure n’est pas prioritairement un cadeau aux riches et au monde de la finance. Mais l’argument est commode, car il permet de mener campagne de manière «punchy» pour un sujet somme toute très technique. En réalité, le droit de timbre pénalise aussi les PME et les start-up qui se financent par des fonds propres. A condition que ceux-ci dépassent la franchise de 1 million de francs, ce qui n’est, il est vrai, pas le cas de toutes: en 2020, 2300 entreprises (sur 600 000) se sont acquittées du droit d’émission, dont une cinquantaine, plus grandes, en ont payé la moitié.

Pour la gauche, l’abolition du droit de timbre d’émission fait partie d’un vaste plan de démantèlement des impôts au profit des riches et au détriment des catégories sociales les plus démunies. Dans le même esprit, elle combat la réforme de l’impôt anticipé, dont le but est de renforcer le marché suisse des obligations. Mais cette approche est réductrice. Elle fait croire que le maintien du droit de timbre d’émission serait indispensable au maintien des prestations publiques. L’argument est contestable. C’est parce qu’il est conscient que l’abolition de l’ensemble des droits de timbre entraînerait un manque à gagner excessif que le parlement y a renoncé.

Ce n’est certes pas la réforme fiscale du siècle, mais l’abolition du droit de timbre doit être considérée positivement. Le scrutin tombe à un moment très particulier, qui concilie les pressions exercées par la pandémie sur les budgets publics et la nécessité d’aider les entreprises suisses, dont le seuil d’imposition devra être adapté aux nouvelles normes de l’OCDE. Même si elle n’en touche certes qu’une infime partie, cette baisse d’impôt reste bonne à prendre.

L’abolition du droit de timbre doit être considérée positivement

Le droit de timbre est un impôt fédéral. Mais l’Union syndicale suisse et la municipalité de Lausanne craignent que les villes n’y laissent aussi des plumes. Le mécanisme qu’ils imaginent est cependant contesté par des experts du droit fiscal

Selon le Département fédéral des finances (DFF), l'abolition du droit de timbre d'émission sur le capital propre fera perdre environ 250 millions de recettes fiscales à la Confédération, mais les cantons et les communes ne seront pas touchés. Le droit de timbre est en effet un impôt fédéral. L'Union syndicale suisse (USS) conteste et affirme dans un document que cette mesure «devrait également entraîner des baisses de recettes fiscales pour les cantons et les communes».

C'est aussi l'avis de la municipalité de Lausanne. Dans sa réponse à une interpellation déposée par Benoît Gaillard, par ailleurs porte-parole de l'USS, le syndic Grégoire Junod confirme cette analyse: il pourrait en résulter une baisse des recettes fiscales des cantons et des communes, et le manque à gagner pourrait atteindre 3 millions pour Lausanne.

Une manoeuvre du «clan socialiste»?

Info ou intox? Dans le camp des partisans de l'abolition du droit d'émission, on émet le soupçon que cette affirmation serait le fait du «clan socialiste», qui, ironise l'un d'eux, «tient la Ville de Lausanne d'une main de Filz» – alémanisme qui signifie copinage – et de ses relais bernois, dont Benoît Gaillard est l'un des maillons. Les intéressés relativisent.

Comment le PS et l'USS parviennent-ils à la conclusion que les communes perdraient des plumes?

«Le droit d'émission incite les entreprises à déclarer une faible valeur lors d'un apport en nature à une société. Cette valeur constitue également la base de l'impôt sur les bénéfices et de l'impôt anticipé ou des futurs amortissements fiscaux. En l'absence de droit d'émission, il devient plus intéressant pour les entreprises d'évaluer la valeur des apports en nature à un niveau élevé, ce qui entraîne des amortissements plus importants et donc des impôts sur les bénéfices plus bas», affirme l'USS. Cette approche prend en compte le fait que les apports en capital peuvent être amortis et déduits du bénéfice imposable s'ils permettent de réaliser ou d'acquérir des biens tels que des véhicules, des machines, des immeubles ou des brevets.

La fixation de la valeur réelle est le fruit d’une négociation

Ce raisonnement est «faux et pervers», affirment les experts fiscaux consultés par Le Temps. «C'est techniquement absurde. Cette construction est économiquement infondée et juridiquement fausse. Elle part du principe que les sociétés sous-évalueraient leurs apports pour éviter le droit de timbre et ne pourraient pas les amortir à leur valeur exacte et qu'elles les évalueraient à un niveau beaucoup plus élevé» après la réforme. «Ce n'est pas possible. La loi sur les droits de timbre est claire: les apports doivent être évalués à leur valeur réelle, sinon ils sont considérés comme des apports dissimulés et la différence est de toute manière taxée», commente Pierre-Marie Glauser, professeur de droit fiscal à l'Université de Lausanne.

Secrétaire central de l'USS, Daniel Lampart réplique: «L'estimation de la valeur réelle est déclarée au moment de la transaction. Elle est le résultat d'une négociation, d'un ruling entre l'entreprise et le fisc. Or, il y a souvent une marge de manoeuvre pour la fixer. Si l'on abolit le droit de timbre, on incitera bon nombre d'entreprises à changer de comportement», affirme-t-il. «Il existe très clairement une marge de manoeuvre et il y a plusieurs moyens de procéder pour obtenir une valeur plus élevée», acquiesce Florence Germond, conseillère municipale de Lausanne chargée des finances, convaincue elle aussi que l'abandon du droit d'émission aura un «effet incitatif» sur le comportement des sociétés.

«Le fisc n'a aucun intérêt à faire cela. Et les réviseurs ne l'accepteraient pas. La surévaluation de la valeur des apports en nature peut très vite constituer une infraction pénale. Les banques et les créanciers risquent de subir d'importants dommages», conteste un autre spécialiste des questions financières et fiscales.

Une approche «spéculative»

Les experts jugent très «spéculatif» le mode de calcul utilisé par la municipalité de Lausanne pour estimer les pertes fiscales potentielles à 3 millions. Celle-ci part du principe que la capitalisation des 1100 entreprises recensées pourrait augmenter de 10% et que cette somme pourrait être utilisée pour «acquérir progressivement du mobilier et des véhicules pour 200 millions et des immeubles pour 3,8 milliards». Cela réduirait les impôts fédéraux, cantonaux et communaux de 16 millions par an, dont 3 pour le cheflieu vaudois.

«Il existe très clairement une marge de manoeuvre et il y a plusieurs moyens de procéder pour obtenir une valeur plus élevée» FLORENCE GERMOND, CONSEILLÈRE MUNICIPALE DE LAUSANNE CHARGÉE DES FINANCES

«Le fisc n’a aucun intérêt à faire cela. La surévaluation de la valeur des apports en nature peut très vite constituer une infraction pénale» UN SPÉCIALISTE DES QUESTIONS FINANCIÈRES ET FISCALES

«C'est de la pure spéculation. Ces chiffres ne reposent sur rien de sérieux», réagissent les experts consultés. Pierre-Marie Glauser affirme que, contrairement à ce que disent le PS, l'USS et la municipalité de gauche, l'abolition du droit de timbre augmentera les bénéfices imposables et donc les recettes des communes. Il ajoute que, dans le scénario évoqué par la municipalité, l'achat d'immeubles générerait 3,3% de droits de mutation, ce qui rapporterait plus de 100 millions de francs de rentrées fiscales. Certes, les fonds reçus pour investir dans des actifs pourront être amortis, mais ils généreront des revenus qui seront supérieurs aux amortissements et seront imposés. «Le raisonnement de la ville et de l'USS est économiquement infondé», conclut-il.

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2022-01-28T08:00:00.0000000Z

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