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Au foyer de Mancy, des enfants terrorisés

S. R. ET SO. G.

D’anciennes collaboratrices reviennent sur des scènes choquantes au foyer genevois pour autistes, où une partie du personnel a maltraité les enfants

Un état de «sidération», un sentiment d’«impuissance». Ces mots reviennent à plusieurs reprises dans la bouche de Judith, Sarah et Christiane. Rencontrées séparément, elles veulent garder l’anonymat. Elles ont travaillé au foyer de Mancy et décrivent des scènes violentes.

«Déjà, on ne voit pas, on entend, relate Christiane. Pour l’un des enfants, Diego*, le moment du bain était anxiogène. Il fallait avancer doucement pour qu’il se sente en sécurité. Un jour, j’entends Diego crier. Je sors dans le couloir et vois un collègue, Jean-Louis*, le traîner par les pieds vers la salle de bains.

Diego était terrorisé par ce collègue. S’il se trouvait dans la cuisine, où les enfants prenaient leur repas, Diego refusait d’entrer. Jean-Louis avait décidé que ce n’était pas à lui de quitter la pièce. Alors Diego est parfois resté deux jours sans manger. On nous disait: «Il va pas se laisser mourir de faim.»

Judith évoque un autre épisode. «Un des jeunes devait partir en camp. Il avait peur de Jean-Louis, présent ce jour-là. Au moment de quitter le foyer, il l’a croisé et s’est figé. L’éducateur s’est éloigné, mais est quand même resté. Il ne voulait pas céder. L’enfant a commencé à paniquer. Jean-Louis l’a empoigné, jeté par terre et a pesé avec son genou de tout son poids sur son torse, comme sur un ring.» Ce même Jean-Louis se vantait aussi d’avoir fait un «high kick», un coup de pied pratiqué dans certains sports de combat, dans le ventre d’un enfant qui sortait de son lit.

Plusieurs témoins reviennent sur le cas d’Elias, le fils de Natacha Koutchoumov, co-directrice de la Comédie de Genève, qui avait témoigné dans L'Illustré.

«Il a été complètement marginalisé, abandonné. Il était laissé dans sa chambre pendant des heures sans personne pour venir le voir. Ils lui ont mis un casque pour éviter qu’il se tape la tête contre les murs. Mais Elias l’enlevait. On entendait les coups depuis la cuisine, il se tapait la tête. Dans ces cas-là, l’attitude des éducateurs responsables était de dire: «Non, il ne faut pas y aller tout de suite. Il est tyrannique.»

Certaines de ces punitions étaient validées en colloque. «Par exemple, si un enfant jetait un jouet, on devait sortir tous ses jouets de sa chambre, alors que cela n’a aucun sens pour un enfant atteint d’autisme sévère. Si l’enfant était en retard pour le souper, il ne pouvait pas manger!» Il est arrivé à Judith d’apporter aux enfants des biscuits en cachette dans leur chambre.

Dans la confrontation totale

Comment une telle dynamique a-telle pu s’instaurer? Les anciennes collaboratrices décrivent un «noyau dur» de personnes au fort tempérament, arrivées dès l’ouverture du foyer, par lesquelles les autres se sont laissé «bouffer» et que la hiérarchie de l’époque a été incapable de rappeler à l’ordre. «Les nouveaux collaborateurs observaient les maltraitances, s’en offusquaient, mais se retrouvaient démunis. Beaucoup sont partis immédiatement.» D’autres ont adopté ces pratiques punitives, pour éviter d’être stigmatisés.

Ce «noyau dur» mettait la faute sur les enfants. C’était à eux de s’adapter et non le contraire. «Ils étaient dans la confrontation totale. A ceux qui essayaient de proposer d’autres manières de procéder, la réaction était que c’était infaisable.»

Le foyer? «Oui, le bâtiment a des défauts. Oui, le projet a été mal pensé et monté à la hâte. Mais sinon, il y avait tout ce qu’il fallait, des heures de travail à gogo, des moments dédiés pour monter un projet pédagogique. Dire qu’il manquait des heures, c’est faux. Il y avait parfois huit éducateurs pour trois enfants.»

Tout indique que le comportement des enfants varie selon la façon dont ils sont traités. «En deux ans, aucun jeune ne m’a jamais agressée, dit Judith. Si c’était vraiment mission impossible, pourquoi une partie de l’équipe y arrivait très bien?» Face aux comportements «insensés» de certains employés, Judith, Sarah, Christiane et d’autres ont sonné l’alarme. Il ne s’est rien passé. Judith: «Je ne voulais plus être complice. Je suis partie.» ■

«Ils lui ont mis un casque pour éviter qu’il se tape la tête contre les murs. Mais il l’enlevait. On entendait les coups depuis la cuisine» UNE ANCIENNE COLLABORATRICE DU FOYER DE MANCY

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2022-01-28T08:00:00.0000000Z

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