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«Je ne voulais plus être complice, je suis partie»

La cheffe du Département de l’instruction publique genevois, Anne Emery-Torracinta, réagit aux révélations du «Temps» et de Heidi.news concernant les maltraitances répétées au foyer spécialisé de Mancy

PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIA REVELLO ET SOPHIE GAITZSCH @sylviarevello | @s_gaitzsch ANNE EMERYTORRACINTA CONSEILLÈRE D ÉTAT GENEVOISE

Le foyer pour enfants autistes de Mancy est sous le feu de l’actualité depuis les révélations de Heidi.news et du Temps. Aujourd’hui, nous produisons les témoignages de plusieurs de ses anciennes collaboratrices, qui décrivent l’ambiance délétère qui y régnait. Elles évoquent un profond sentiment d’impuissance face aux agissements de certains de leurs ex-collègues. Anne Emery-Torracinta, conseillère d’Etat et ministre de tutelle de l’institution, réagit aussi dans nos pages à ces nouveaux développements.

Anne Emery-Torracinta regrette d’avoir été mise au courant tardivement et entend «aller jusqu’au bout pour comprendre ce qui s’est passé».

Qu’avez-vous su, et quand, au sujet du foyer de Mancy?

Avant toute chose, je tiens à exprimer mon soutien aux familles concernées. Les premières alertes datent de l’été 2019. En juin, l’OMP évoque les difficultés de prise en charge d’un enfant à Mancy. En juillet, une mère me fait part de son inquiétude quant aux conditions de vie et à la santé de son fils au sein du foyer. A la suite de ce courrier, j’écris immédiatement à la directrice générale de l’OMP, qui prend contact avec elle et met en place des changements. La directrice m’informe toutefois que l’équipe n’est pas aussi alarmiste et, en septembre, que la situation s’est apaisée. Dans l’intervalle, des travaux urgents sont menés au foyer, notamment sur la base des éléments transmis précédemment. Je visite moi-même le foyer peu après et n’y vois rien d’alarmant. En mai 2020, la directrice générale me transmet de nouvelles préoccupations de cette mère concernant cette fois le fonctionnement du foyer dans son ensemble. Là encore, il n’est pas question pour la direction de l’OMP de maltraitance, mais d’absence de projet éducatif. Elle m’assure prendre les choses en main et annonce une réorganisation.

Quand avez-vous entendu le mot maltraitance pour la première fois?

Je n’ai eu connaissance des éléments de maltraitance que dans un rapport de la direction générale du 29 mars 2021, que le département avait demandé en janvier à la suite d’une lettre anonyme dénonçant des problèmes RH et de management à Mancy. La directrice de l’OMP y évoquait néanmoins des faits passés et affirmait que la situation était désormais sous contrôle du point de vue de la sécurité et de la prise en charge des jeunes. Selon ma compréhension à ce moment-là, la situation était normalisée.

Rétrospectivement, reconnaissezvous avoir agi tardivement?

Je tiens à dire que le département a toujours agi dès qu’il a eu connaissance de problèmes et assumé ses responsabilités en tant qu’employeur et dans sa mission de protection des enfants, qui est sa priorité. L’erreur que j’ai commise au départ, c’est de croire qu’il s’agissait de la problématique d’un enfant en particulier et non pas du foyer.

La maltraitance a pourtant été signalée par des collaborateurs dès 2019, comment est-il possible que vous n’ayez pas immédiatement été mise au courant de faits relevant du pénal?

J’essaie aujourd’hui de comprendre pourquoi rien ne m’est remonté plus tôt. Je n’ai pas de réponse à cette question pour l’heure.

Au printemps 2021, vous avez lancé un audit sur le management du foyer. A ce moment-là, vous aviez connaissance du rapport sur les maltraitances. Pourquoi ne pas avoir étendu le champ de l’enquête?

Encore une fois, à ma connaissance, il s’agissait de comportements révolus. En tant qu’employeur, nous devions avant tout nous assurer que les collaborateurs étaient mis en position de remplir leur mission, c’est pourquoi nous nous sommes concentrés sur l’organisation et le fonctionnement du foyer. Après ce premier rapport, nous avons continué à réunir des éléments et il est apparu qu’il nous manquait la version des familles. Nous avons donc lancé, en décembre dernier, une nouvelle enquête externe qui devrait aboutir aux alentours de fin février 2022. En parallèle, le département a effectué une dénonciation pénale, sur la base «d’éléments semblant être constitutifs d’une violation du devoir d’assistance ou d’éducation».

Comment est-il possible que les collaborateurs soupçonnés de maltraitance continuent detravailler au DIP?

Afin de ne pas entraver l’enquête pénale et l’analyse en cours, je ne peux pas m’exprimer sur ce point. Sachez toutefois que des procédures sont en cours. Le délai de prescription court jusqu’à fin mars 2022.

Que va-t-il advenir du foyer de Mancy?

Les conclusions de l’analyse sur la prise en charge des jeunes et la situation des familles sont attendues pour fin février, début mars. Cela nous permettra de définir les mesures à prendre. A terme, plusieurs scénarios sont envisageables, parmi lesquels la fermeture du foyer ou le transfert des enfants vers de plus petites structures.

Aujourd’hui, dans quel état d’esprit êtes-vous?

Ce qui s’est passé à Mancy est inacceptable et indigne. De tels actes n’auraient jamais dû arriver et ne se seraient pas produits si cet établissement avait été conçu dans les règles, avec un projet institutionnel, une formation et des moyens adaptés. La direction de l’OMP avait la responsabilité de s’en assurer. Cela dit, ça n’excuse en rien les maltraitances. Le département a failli dans sa mission et j’entends aller jusqu’au bout pour comprendre ce qui s’est passé et prendre les mesures qui s’imposent. ■

«Mon erreur a été de croire que le problème ne concernait qu’un seul enfant»

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2022-01-28T08:00:00.0000000Z

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