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Joe Biden veut une femme noire à la Cour suprême

VALÉRIE DE GRAFFENRIED, NEW YORK @vdegraffenried

Joe Biden pourrait choisir Ketanji Brown Jackson, magistrate à la Cour d’appel fédérale de Washington, ou Leondra Kruger, juge à la Cour suprême de Californie, pour siéger à la plus haute instance judiciaire du pays après le départ du juge Stephen Breyer. Une nomination qui doit intervenir avant les élections de mi-mandat

Les démocrates font pression depuis des mois sur le juge progressiste Stephen Breyer, 83 ans, pour qu’il se retire de la Cour suprême. Voilà désormais chose faite (ou presque): le juge devrait quitter ses fonctions fin juin, affirment plusieurs médias américains. Un départ très stratégique. Car pour les démocrates, il s’agit avant tout de ne pas prendre le risque de «perdre» un juge progressiste, pour cause de maladie ou de décès, après les élections de mi-mandat, lors desquelles les républicains ont des chances de retrouver une majorité au Congrès, et donc de bloquer une candidature démocrate. Seule solution: précipiter le départ d’un juge vieillissant pour garantir son remplacement par un juge progressiste.

En l’occurrence, une juge. Car le président Joe Biden a une idée précise en tête: nommer une femme afro-américaine. Il l’a encore répété jeudi, sans préciser son choix, qui sera rendu public «à la fin du mois de février». Mais les regards se tournent déjà vers une femme en particulier: Ketanji Brown Jackson, magistrate à la Cour d’appel fédérale de Washington. Le nom de Leondra Kruger, juge à la Cour suprême de Californie, circule également. En agissant ainsi, Joe Biden réaliserait une «première». Comme il l’a fait en permettant à Kamala Harris d’accéder au poste de vice-présidente.

Ketanji Brown Jackson, 51 ans, connaît d’ailleurs celui qu’elle pourrait remplacer: elle a effectué un stage auprès du juge Stephen Breyer en 1999-2000. Joe Biden l’a nommée fin mars 2021 comme juge fédérale à la Cour d’appel des Etats-Unis pour le circuit du district de Columbia, pour remplacer Merrick Garland, devenu ministre de la Justice. Mère de deux filles, Ketanji Brown Jackson s’est notamment illustrée pour avoir relevé que «les présidents ne sont pas rois», qu’ils «n’ont pas de sujets, liés par la loyauté ou le sang, dont ils ont le droit de contrôler le destin». C’était, en 2019, dans le cadre de l’affaire Donald F. McGahn II, un ancien conseiller de Donald Trump: elle avait décidé qu’il devait obéir à une assignation du Congrès lui demandant de témoigner sur les efforts de Trump pour faire obstruction à l’enquête sur l’ingérence russe dans la présidentielle de 2016.

Plus récemment, Ketanji Brown Jackson a fait partie du panel de juges qui ont décidé que Donald Trump ne pouvait pas s’opposer au transfert de documents de la Maison-Blanche à la commission spéciale du Congrès qui enquête sur l’attaque du Capitole. Elle est liée, par alliance, au républicain Paul Ryan, ancien président de la Chambre des représentants, qui ne tarit pas d’éloges sur elle.

L’effet RBG

Les nominations à la Cour suprême font toujours l’objet de féroces batailles politiques. Pendant son mandat, Donald Trump a eu l’occasion de nommer trois juges (Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett), qui, rappelons-le, ont la particularité d’être nommés à vie. L’ex-président républicain a donc contribué à ancrer la plus haute instance judiciaire du pays encore plus à droite, avec désormais six juges sur neuf considérés comme plutôt conservateurs. Une composition qui a une influence directe sur des enjeux sociétaux majeurs traités, comme l’avortement, les droits de la communauté LGBT ou encore les armes à feu.

La pression exercée sur Stephen Breyer, le juge le plus âgé de la Cour suprême, n’a rien d’unique. En proie à des problèmes de santé, la très progressiste Ruth Baber Ginsburg, icône féministe, avait été poliment invitée par Barack Obama à quitter d’elle-même la Cour suprême, pour qu’il puisse s’assurer de la remplacer par un juge aux mêmes sensibilités. Mais elle a toujours refusé. Et c’est le 18 septembre 2020 qu’elle est décédée, à l’âge de 87 ans, en plein mandat de Donald Trump, à quelques mois d’une élection présidentielle très disputée. Donald Trump s’est alors empressé, avec l’aide du Sénat, d’imposer une magistrate conservatrice, Amy Coney Barrett. Le candidat Biden avait en vain exigé que le ou la successeur·e de «RBG» soit nommé·e par celui qui remporterait l’élection. «Mon voeu le plus cher est de ne pas être remplacée tant qu’un nouveau président n’aura pas prêté serment», avait précisé Ruth Baber Ginsburg à sa petite-fille quelques jours avant de mourir.

Stephen Breyer siégeait à la Cour suprême depuis près de vingt-huit ans. Chuck Schumer, leader de la majorité démocrate au Sénat, n’a pas attendu qu’il présente officiellement sa démission pour évoquer une audience afin de régler sa succession. C’est en effet le Sénat qui doit confirmer la nomination du candidat présenté par le président. Les républicains ont bien fait comprendre qu’ils seraient prêts à bloquer un candidat choisi par Biden s’ils redeviennent majoritaires au Sénat. Or les démocrates n’ont aucune intention de revivre le psychodrame de 2016: les républicains avaient alors refusé le candidat choisi par Barack Obama – Merrick Garland, l’actuel ministre de la Justice – pour remplacer le juge Antonin Scalia, décédé en février 2016. Les républicains avaient été jusqu’à refuser de l’auditionner, en prétextant l’approche de l’élection présidentielle. C’est ce qui a permis à Donald Trump d’imposer son candidat, Neil Gorsuch, après une longue vacance.

En agissant ainsi, Joe Biden réalisera une «première»

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2022-01-28T08:00:00.0000000Z

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