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L’histoire suisse de la fortune de Poutine

CAMILLE PAGELLA @CamillePagella

Mardi, Joe Biden a déclaré «concevoir» des sanctions personnelles à l’encontre du président russe. Ces dernières pourraient se ressentir jusqu’en Suisse, où ce dernier détiendrait des avoirs via des prête-noms

«Il n’est plus question de réponse graduée. Cette fois nous commencerons d’emblée par le haut de l’échelle des sanctions.» Mardi, la Maison-Blanche a insisté sur les sanctions que pourrait subir la Russie en cas d’invasion de l’Ukraine. Le haut de l’échelle correspondrait-il au président Vladimir Poutine lui-même? «Oui, je peux le concevoir», a répondu Joe Biden.

S’il n’a pas précisé la nature de ces éventuelles sanctions, il pourrait s’agir – comme c’est souvent le cas – d’un gel des avoirs du président russe et d’une interdiction de transaction avec les Etats-Unis. Quelques heures plus tard, Moscou rétorque et minimise l’impact de ces éventuelles mesures: «Elles ne seraient pas du tout douloureuses pour les autorités», déclare Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin. Car, selon la loi russe, Vladimir Poutine n’est pas autorisé à détenir des avoirs à l’étranger.

Une fortune détenue par l’intermédiaire de prête-noms

Mais selon la loi seulement. Car, comme le rappelle le quotidien alémanique Tages-Anzeiger, Vladimir Poutine aurait fait sortir des centaines de millions d’euros de Russie via des montages financiers révélés par les Panama Papers, en 2016. Une partie de la fortune personnelle du président russe serait d’ailleurs passée par… Zurich.

Retour en 2016. Plus de 11 millions de documents provenant des archives du cabinet d’avocat panaméen spécialisé dans la domiciliation des sociétés offshore Mossack Fonseca révèlent une évasion fiscale à l’échelle planétaire. Ces informations se retrouvent (grâce à une source anonyme) dans les mains des journalistes du quotidien munichois Süddeutsche Zeitung qui, devant l’ampleur du travail, les partagent avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).

Le scandale éclate en avril de la même année. Parmi les noms des 140 personnalités politiques citées, celui du président russe, dont la fortune personnelle a toujours fait l’objet de spéculations, n’y apparaît jamais directement. En revanche, ceux de son petit groupe d’amis saint-pétersbourgeois reviennent plusieurs fois. La fortune personnelle de Vladimir Poutine serait donc détenue par l’intermédiaire de prête-noms.

Un violoniste et des comptes à l’étranger

Parmi ces derniers, un proche du président, le violoncelliste du célèbre théâtre Mariinski, Sergueï Roldouguine. Cet ami de jeunesse de Vladimir Poutine lui a présenté sa première femme, Lioudmila, et est devenu le parrain de son aînée, Maria. Mais il y a aussi celui de Youri Kovaltchouk, à la tête de la Rossia Bank à Saint-Pétersbourg et considéré comme le banquier personnel du président.

Et c’est justement cette Rossia Bank qui tirait les ficelles de ces montages financiers, révélait l’ICIJ. Elle aurait notamment contribué à la création de sociétés écrans au nom de Sergueï Roldouguine. Mais le volet russe des Panama Papers mène aussi en Suisse et révèle l’intervention d’une deuxième institution financière: la filiale zurichoise de la banque russe aux mains du géant gazier et pétrolier, Gazprombank. Cette dernière a ouvert plusieurs comptes au nom d’une société dont l’ayant droit n’est autre que le violoncelliste Sergueï Roldouguine.

Le volet russe des Panama Papers mène en Suisse et révèle l’intervention de la filiale zurichoise de Gazprombank

Epinglée par la Finma

«Les enregistrements montrent que Sergueï Roldouguine est l’un des membres du réseau clandestin dirigé par le cercle de Poutine, qui a transféré au moins 2 milliards de dollars dans des comptes bancaires et des sociétés offshore», affirme à l’époque l’ICIJ. A la suite des révélations, la Finma, le gendarme de la place financière suisse, a procédé à des vérifications auprès de plus d’une trentaine de banques suisses. La succursale zurichoise de Gazprombank est visée, notamment pour des manquements à la législation en matière de blanchiment d’argent. Dans les formulaires pour l’ouverture d’un compte, Sergueï Roldouguine aurait toujours répondu par la négative à la question de savoir s’il connaissait des personnes exposées politiquement.

Achevée en février 2018, la procédure de la Finma démontre que «de 2006 à 2016, Gazprombank Suisse avait gravement enfreint les obligations de diligence exigées par la loi sur le blanchiment d’argent». Elle lui interdit donc d’élargir ses activités d’affaires avec des personnes privées et lui demande de «surveiller de près les relations existantes». En raison d’un vide juridique, les avocats zurichois qui travaillaient pour les proches de Vladimir Poutine n’ont pas été poursuivis, révèle le Tages-Anzeiger, qui estime que l’affaire pourrait revenir à l’ordre du jour si des sanctions américaines devenaient réalité.

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2022-01-28T08:00:00.0000000Z

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