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Les Occidentaux resserrent leurs liens face à une Russie insatisfaite

STÉPHANE BUSSARD @StephaneBussard

Moscou juge largement insuffisante la réponse des Américains aux demandes russes de garanties sécuritaires. De leur côté, les Occidentaux anticipent une éventuelle suspension des livraisons de gaz russe

Il y a une semaine à Genève, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, obtenait des Etats-Unis l’assurance de recevoir un document écrit répondant aux demandes formulées par le Kremlin au sujet de garanties de sécurité en Europe. Remises mercredi en personne par l’ambassadeur des Etats-Unis en Russie, John Sullivan, au vice-ministre des Affaires étrangères russe, Alexandre Grushko, les réponses américaines, que Washington veut maintenir confidentielles, ne convainquent pas Moscou.

Elles n’abordent pas l’une des préoccupations premières de Poutine: interdire toute possibilité d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Sergueï Lavrov l’a résumé jeudi en quelques mots. Le document américain contient «des éléments positifs», mais se borne à traiter de questions secondaires. Le président russe y répondra en temps voulu, après mûre réflexion. Pour Washington, la balle est désormais dans le camp russe.

«Jouet géopolitique»

Le moment est très délicat et perçu comme l’une des dernières chances de résoudre la crise russo-occidentale par des moyens diplomatiques. L’ex-président russe Dmitri Medvedev, actuellement vice-président du Conseil de sécurité russe, a été particulièrement véhément, soulignant que si l’Occident n’entrait pas en matière pour interdire à l’Ukraine d’adhérer à l’Alliance atlantique, les choses «se compliqueraient sérieusement». Il a exigé que les Occidentaux ne livrent jamais d’armes offensives à l’Ukraine, qu’il décrit comme «un jouet» géopolitique de l’OTAN.

L’une des autres demandes russes n’a pas eu plus de succès: elle exigeait le retrait des forces de l’Alliance atlantique des pays y ayant adhéré après 1997, soit onze pays au total. Pour les plus critiques du Kremlin, ces demandes relèvent d’une volonté de Vladimir Poutine de recréer une zone d’influence dans l’ex-espace soviétique. L’ambition de Poutine, souligne l’éditorialiste du Monde Sylvie Kauffmann, «est de revenir à l’ordre européen d’avant 1991. Comme si, finalement, la chute de l’URSS et de son univers n’avait été qu’un mauvais rêve.»

Au vu de la réaction russe, on peut se demander si le document écrit constitue encore une base valable pour entamer d’éventuelles négociations. Les fronts tendent à se figer et une désescalade des tensions semble pour l’heure improbable. Parmi les propositions américaines figure l’idée de négocier un renforcement de la maîtrise des armements, notamment des missiles de courte et moyenne portée.

Mais le porte-parole du Kremlin a été catégorique: ce n’est pas cela qui va inciter la Russie à abandonner ses exigences initiales. Le chemin vers une solution diplomatique semble de plus en plus étroit. Ce d’autant que l’affaire est loin de se résumer à la relation russo-américaine.

D’un côté, Moscou peut compter sur le soutien politique de Pékin, qui a critiqué la volonté occidentale «d’élargir un bloc militaire». De l’autre, les chancelleries européennes sont actives pour tenter d’éviter le pire. Mercredi à Paris, une réunion en «format Normandie», réunissant les artisans des Accords de Minsk – l’Allemagne, la France, la Russie et l’Ukraine –, a laissé une impression positive auprès du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui a qualifié les pourparlers de «constructifs». Ceux-ci devraient se poursuivre à Berlin dans deux semaines.

Rencontre Biden-Scholz

De leur côté, les Occidentaux, inquiets de la présence de près de 100000 soldats russes à la frontière ukrainienne et de la mobilisation de troupes en Biélorussie, se préparent au pire, à savoir une invasion russe en Ukraine. Des hauts responsables américains sont déjà en train de négocier avec plusieurs Etats et géants gaziers pour anticiper une éventuelle coupure des livraisons de gaz par Moscou en réaction à de lourdes sanctions que pourraient imposer Washington et Bruxelles. La Russie couvre à hauteur de 40% les besoins en gaz de l’Europe. C’est un levier considérable, mais qui ne représente pas une arme infaillible.

Le président américain, Joe Biden, a conscience de la problématique. Il recevra le chancelier allemand, Olaf Scholz, le 7 février prochain pour s’assurer du plein soutien d’un allié allemand tiraillé entre son ancrage à l’Ouest et ses intérêts économiques avec la Russie. Tous deux pourraient aborder la question de Nord Stream 2, un gazoduc controversé qui n’est toujours pas en fonction et qui relie la Russie à l’Allemagne.

«Il n’y a pas de réponse positive à la question principale»

SERGUEÏ LAVROV, CHEF DE LA DIPLOMATIE RUSSE

Gazoduc sur la sellette

Récemment, le chancelier allemand a laissé entendre qu’en cas d’intervention russe en Ukraine, Berlin pourrait sacrifier son gazoduc, qui a coûté la rondelette somme de 11 milliards d’euros.L’Europe pourrait se tourner vers les Etats-Unis, le Qatar et l’Australie, trois grands fournisseurs potentiels de gaz liquéfié, même si ces nouveaux apports ne compenseraient pas à 100% un arrêt des livraisons russes.

Les experts jugent toutefois peu probable que Moscou ferme entièrement les robinets: «Une suspension totale des exports gaziers reste le moins probable des scénarios», juge le cabinet Eurasia Group. «Cela impliquerait des risques graves à long terme pour la stabilité financière de la Russie et son influence politique en Europe, car l’UE répondrait probablement de manière agressive en diversifiant son approvisionnement énergétique.»

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2022-01-28T08:00:00.0000000Z

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