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Pour une Ukraine neutre

MARIE-HÉLÈNE MIAUTON mh.miauton@bluewin.ch

Poutine et Biden entament un bras de fer et tout le monde joue à se faire peur. Bruits de bottes titrent les journaux. Invasion imminente et guerre inévitable annoncent les stratèges. Chacun calcule le nombre d’hommes, de chars, d’avions de combat, de sous-marins mobilisés de part et d’autre. Cerise sur le gâteau, l’injonction américaine aux familles de ses diplomates de quitter le sol ukrainien! Les menaces de sanctions sur la Russie pleuvent, toutes plus terribles les unes que les autres, dont Poutine se fiche puisqu’il n’a sans doute pas l’intention d’envahir l’Ukraine, mais plutôt de montrer qu’il faut compter avec lui. C’est exactement ce qu’a dit le chef d’état-major de la marine allemande, KayAchim Schönbach, le 21 janvier, avant d’être démissionné pour ces propos inconvenants: «La Russie veut-elle vraiment intégrer une petite partie du territoire ukrainien au sien? Non. C’est un non-sens. Je pense que Poutine exerce probablement une pression parce qu’il peut le faire. Et il sait qu’il divise l’Union européenne. Mais ce qu’il veut vraiment, c’est le respect. Il veut être traité en égal.»

En effet, il reproche aux Occidentaux de n’avoir pas honoré leur parole de ne pas inclure les anciens pays de l’Est dans l’OTAN. Cette promesse n’était pas écrite ni ne faisait partie d’une convention en bonne et due forme, mais elle est officiellement portée aux procès-verbaux de plusieurs entretiens. Le 9 février 1990, James Baker, secrétaire d’Etat américain, rencontre Gorbatchev: «Nous comprenons que non seulement pour l’URSS, mais aussi pour les autres pays européens il est important d’avoir des garanties que la présence militaire de l’OTAN ne se déplacera pas d’un pouce en direction de l’Est.» Pas d’un pouce!

Le lendemain, le chancelier Helmut Kohl répétait cette même promesse dans le but d’obtenir le soutien du président russe à la réunification de l’Allemagne. En mai 1990, François Mitterrand la confirmait à Moscou en ajoutant: «Il ne faut rien entreprendre qui puisse non seulement isoler l’URSS, mais qui puisse lui donner le sentiment que l’on cherche à l’isoler.» On sait ce qu’il advint de ces engagements. Il faut donc admettre qu’une Ukraine appartenant à l’OTAN, ce serait la goutte de trop dans le calice russe.

Sachant cela et, simultanément, que les Etats-Unis veulent éviter à tout prix que l’UE se rapproche peu ou prou de la Russie et de ses sources énergétiques, que faire pour pacifier la région? Une excellente solution serait que l’Ukraine devienne un Etat neutre et la Suisse aurait alors un rôle essentiel à jouer puisqu’elle sait ce que cela veut dire, et qu’elle ne fait partie ni de l’OTAN ni de l’Union européenne.

Sur le plan international, son positionnement dans le choeur des nations est, selon moi, d’être un laboratoire de démocratie et un conservatoire de paix. On peut se féliciter qu’elle accueille des chefs d’Etat et leurs délégations, cela fait partie de sa politique de bons offices et du rayonnement de la Genève internationale. Mais elle a aussi un rôle plus actif à jouer. En 1859, Henry Dunant, choqué par la boucherie de la bataille de Solférino ne s’est pas contenté d’improviser sur place un hôpital de campagne puis d’écrire un livre pour dénoncer les horreurs de la guerre: il a fondé la Croix-Rouge.

Dès lors, la Suisse devrait initier des pourparlers pour faire avancer ce dossier, elle compte assez d’excellents diplomates pour développer ce point de vue. Il lui faudrait expliquer les atouts de la neutralité, responsabiliser les gouvernants, réunir des conférences, créer un lobby supranational, utiliser sa voix à l’ONU, son futur siège au Conseil de sécurité… que sais-je encore? Tous auraient à y gagner, l’UE particulièrement qui se montre divisée et impuissante devant les intimidations américano-russes; l’Ukraine enlisée dans un conflit larvé qui nuit à son développement; l’économie européenne qui, après deux ans de crise sanitaire, se passerait bien d’une insécurité durable à ses portes.

Débats

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2022-01-28T08:00:00.0000000Z

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