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Face à l’afflux d’étudiants chinois en Suisse, la vigilance est de mise

GRÉGORY COUTAZ UNIVERSITÉ TAMKANG, TAÏWAN

Le 11 janvier dernier, l’Office fédéral de la statistique (OFS) révélait que malgré la crise liée à la pandémie de COVID-19, le nombre d’étudiants étrangers au sein des universités ou des hautes écoles suisses avait augmenté de 4% par rapport à 2019. Si la grande majorité des étudiants étrangers sont originaires des pays voisins, principalement de France (+4%) et d’Allemagne (+8%), c’est l’augmentation des étudiants chinois qui est en revanche la plus marquée (+27%). Hasard du calendrier, l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich publiait au début du mois son règlement concernant son programme d’échange avec la Chine incluant au passage Taïwan dans la même catégorie que son encombrant voisin. Cette décision a valu à la vénérable institution zurichoise un rappel à l’ordre de la part de la porte-parole du Ministère taïwanais des affaires étrangères, Joanne Ou, lui priant de bien vouloir ne pas céder aux injonctions de Pékin. Si vu de Suisse cet incident peut paraître anecdotique, il pose néanmoins la question plus large des relations académiques avec la Chine. L’arrivée d’étudiants chinois toujours plus nombreux sur le sol helvétique demande une vigilance particulière, car ces étudiants ne sont tout simplement pas des étudiants comme les autres.

L’un des problèmes que posent ces jeunes chinois vient du fait que parmi eux se trouve une minorité biberonnée au nationalisme qui n’accepte plus un enseignement perçu comme «anti-chinois». Encouragés par l’influence grandissante de la Chine sur la scène internationale, ces étudiants s’attaquent directement à leurs professeurs en les harcelant, les intimidant ou en se livrant au doxing (c’est-à-dire la diffusion de données personnelles sur internet), dès lors que ceux-ci se montreraient critiques envers le Parti communiste ou discuteraient de questions sensibles comme Hongkong, le Xinjiang, le Tibet ou Taïwan. Autrefois réservés aux seules universités anglo-saxonnes, ces débordements sont désormais présents en Europe et notamment à Sciences Po Paris où plusieurs étudiants chinois ont informé leur ambassade des prises de position de leurs professeurs.

Un autre problème concerne cette fois les étudiants plus âgés qui décident de poursuivre leurs thèses et leurs travaux postdoctoraux au sein d’unités de recherche occidentales. Si ces dernières ont d’abord accueilli positivement ces chercheurs chinois, elles qui ont parfois de la peine à recruter des doctorants, certaines se sont tout de même aperçues que parmi leurs étudiants quelques-uns avaient la fâcheuse tendance à récolter des informations allant bien au-delà de leur sujet de recherche. Même si aujourd’hui la Chine a rattrapé une bonne partie de son retard technologique, elle entend poursuivre sa quête de découvertes et de brevets dans des domaines comme l’ingénierie agroalimentaire, les techniques environnementales ou encore les dispositifs médicaux haut de gamme. A ce titre, la plupart des bourses d’études offertes par Pékin à ses ressortissants sont ainsi souvent assorties d’une obligation de retour au pays, afin de faire bénéficier l’économie nationale des connaissances acquises à l’étranger.

Enfin, il est important de souligner que les étudiants chinois eux-mêmes sont aussi victimes de l’ingérence de leur gouvernement. En effet, dans sa volonté croissante de vouloir maintenir un contrôle absolu de sa population, le pouvoir chinois n’hésite pas à surveiller, voire menacer ses étudiants qui manifesteraient des opinions dissidentes ou participeraient à des activités jugées contraires à l’intérêt national. Conscients d’être l’objet d’une telle surveillance, beaucoup d’étudiants modifient leurs comportements en conséquence et s’autocensurent pour éviter toute pression de la part de leurs camarades de classe, et par crainte d’une éventuelle dénonciation aux autorités. Selon un rapport du parlement français publié en octobre 2021, le régime a mis en place une stratégie particulièrement agressive pour inciter sa jeunesse à accomplir son devoir patriotique et s’assurer de sa loyauté. A vrai dire, les étudiants chinois n’ont guère le choix s’ils ne souhaitent pas hypothéquer sérieusement leur avenir professionnel. Cela commence dès l’obtention de leur diplôme puisque celui-ci, n’étant pas automatiquement reconnu, doit être validé par les ambassades et les consulats chinois. Cette validation n’est d’ailleurs pas accordée à tout le monde.

Il n’est pas question ici, bien sûr, d’interdire aux étudiants chinois l’accès à nos amphithéâtres et à nos laboratoires. En revanche, il est de la responsabilité des universités de prendre les mesures adéquates pour se protéger contre la promotion d’un narratif officiel, le siphonnage des connaissances et les tentatives de manipulation des étudiants. Cela passe par un renforcement accru des contrôles et la nécessaire divulgation de tous les incidents qui, trop souvent, sont étouffés par la hiérarchie car susceptibles d’ébranler la réputation de l’établissement. En refusant de s’attaquer aux problèmes que posent les étudiants chinois, nos universités ne font qu’encourager des agissements qui mettent à mal les valeurs de liberté et d’intégrité scientifique dont elles sont pourtant les garantes. Véritable fierté nationale, l’enseignement supérieur suisse aurait tort de se croire à l’abri de l’ambition et des influences de la Chine.

Les étudiants chinois n’ont guère le choix s’ils ne souhaitent pas hypothéquer sérieusement leur avenir professionnel

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2022-01-28T08:00:00.0000000Z

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