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Aide aux médias: démêler le vrai du faux

Alors que le Conseil fédéral présente un projet pour maintenir la diversité du paysage médiatique, les référendaires le combattent en arguant qu’il ne bénéficiera qu’aux grands groupes de presse. Décryptage des enjeux en sept points

MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaume

VOTATION Le paquet de mesures proposé par le Conseil fédéral divise profondément, chaque camp accusant l’autre de mentir

■ «Le Temps» propose un décryptage en sept points, et un éclairage sur la situation ailleurs en Europe

Dans la campagne de votation sur l’aide aux médias, les accusations de fake news foisonnent. Les deux camps se les jettent à la figure pour mieux désarçonner l’adversaire. Les partisans du projet montrent le héros national, Guillaume Tell, s’employant à abattre un mur de fake news. De leur côté, les référendaires attaquent les «millionnaires zurichois des médias» qui seraient selon eux les premiers à profiter de cette aide. Qui croire? Le Temps passe sous la loupe les arguments des deux parties.

Depuis 2003, plus de 1 70 journaux ont disparu

C’est ce que répète la ministre de la Communication, Simonetta Sommaruga, dans toutes ses interviews. Peter Weigelt, le président du comité «Mediengesetz Nein» conteste vivement cette affirmation. Il préfère citer le spécialiste des médias Kurt W. Zimmermann, lequel prétend que ce ne sont là que des «sottises».

La liste de ces 70 publications, établie par l’institut de recherches et d’études des médias publicitaires REMP, existe pourtant bel et bien. Elle n’intègre pas seulement les médias qui ont disparu, comme le magazine L’Hebdo ou Dimanche. ch, mais aussi les fusions de journaux. Elle recense enfin la mort des journaux gratuits (comme Blick am Abend.ch ou Le Matin bleu) et des feuilles officielles.

La vice-présidente du Comité «Non aux médias contrôlés», Lena Ebener, ne conteste pas cette liste, mais regrette que les partisans du projet ne parlent jamais des médias qui sont nés en Suisse romande, comme Heidi. news, Bon pour la tête, Sept. info, Blick ou encore Watson. «Ils sont la preuve d’une diversité renouvelée du paysage médiatique», affirme-t-elle.

Le projet profitera avant 2 tout aux grands groupes de presse

Cette affirmation des référendaires est au coeur du débat. Ceux-ci trouvent «choquant» que les grands groupes de presse (Ringier, TXGroup et CH Media) puissent encaisser «entre 70 et 80%» des 150 millions de francs supplémentaires par an. Mais est-ce vraiment le cas? Simonetta Sommaruga dément: «Ce paquet est surtout destiné aux petits et moyens médias qui dans leurs régions respectives font vivre la démocratie.» Les grands groupes restent discrets sur les montants qu’ils recevront: entre 5 et 8 millions au total pour Ringier, environ 10 millions dans la distribution matinale pour CH Media et «quelques millions» pour la Neue Zürcher Zeitung. Pour sa part, Tamedia n’articule aucun chiffre.

Les grands journaux 3 alémaniques auront aussi droit aux rabais postaux

C’est vrai, mais dans une mesure limitée. Le projet prévoit une hausse de 20 millions – de 30 à 50 millions – pour les journaux en abonnement. Pour éviter une division des éditeurs qui aurait été fatale au projet, le parlement a fait sauter le plafond de 40000 exemplaires qui limitait cette aide indirecte aux petits et moyens médias. Dès lors, les grands quotidiens alémaniques (Tages-Anzeiger, Blick, NZZ) en profiteront aussi. Mais dans la loi sur la poste, le législateur a pris soin de préciser que «plus le tirage est élevé, plus le rabais est bas». Actuellement, cette aide profite à 80% aux journaux de petite et moyenne taille. «La réduction pour les grands éditeurs ne représente qu’environ 20% du montant et l’extension des rabais postaux ne modifiera que très peu cette répartition», affirme Daniel Hammer, le secrétaire général de Médias suisses, la faîtière des éditeurs romands.

Aide à la distribution 4 matinale: ceux qui en profitent

De son propre chef, le parlement a ajouté 40 millions au paquet de mesures. Ceux-ci reviendront «à 90%» aux grands groupes de presse, prétendent les référendaires. «Cette assertion est fausse, rétorque Daniel Hammer. Les grands éditeurs ne sont pas les seuls à recourir à la distribution matinale. De nombreux journaux locaux et régionaux, comme La Liberté, le Walliser Bote ou le Corriere del Ticino, le font aussi.»

La part dévolue aux radios 5 et TV privées reviendra surtout aux grands groupes

C’est clairement faux. Ici, le parlement augmente la part revenant aux radios et TV privées à 8% au maximum de la redevance radio-TV, de sorte que ces stations toucheraient non plus 80, mais environ 110 millions par an. «Cette hausse profiterait à 70% aux grands groupes», disent les référendaires. «Fake news», réagit André Moesch, le président de Telesuisse, l’association des télévisions régionales. Parmi les grands groupes, seul CH Media possède quatre télévisions privées, et aucun d’entre eux n’a de radio subventionnée. «Environ 20% de la hausse ira aux grands groupes, pas plus», estime André Moesch.

L’aide directe aux médias 6 électroniques brise un tabou

Cette aide directe de 30 millions, nouvelle en Suisse dans le soutien aux médias, est la ligne rouge à ne jamais franchir aux yeux des référendaires, qui craignent «des médias contrôlés par l’Etat, des distorsions de concurrence et en fin de compte une aide qui pourrait s’avérer un obstacle à l’innovation». En fait, c’est peut-être en ligne que des médias agiles peuvent naître, comme le montrent Republik et Heidi.news, qui explorent de nouveaux formats longs, mais dont le modèle économique reste très fragile. Le législateur prévoit qu’ils pourraient toucher au maximum jusqu’à 60% de leur chiffre d’affaires. Qui touchera le pactole? Ici, c’est encore la bouteille à l’encre. Si le projet est approuvé par le peuple, le Conseil fédéral devra rédiger une ordonnance d’application dont les détails sont encore inconnus. Mais dans l’esprit de la loi, le gouvernement ne pourra que tenir sa promesse de favoriser les petits et moyens médias.

L’enjeu de la votation pour 7 «Le Temps» et Heidi.news

Le Temps a bénéficié en 2021 de rabais d’environ 1 million de francs pour la part des exemplaires distribués par La Poste, soit 29 centimes par exemplaire. Selon son directeur financier, Olivier Schwarz, cette aide indirecte pourrait augmenter de quelque 260000 francs pour la distribution matinale en cas de oui du peuple suisse. Impossible en revanche de faire le moindre pronostic sur la part que toucheraient Le Temps et Heidi.news pour leurs contenus en ligne, tant les paramètres d’attribution sont encore flous. ■

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2022-01-28T08:00:00.0000000Z

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