Le Temps epaper

Mix & Remix, le génie inaltérable

STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Cinq après sa disparition, le dessinateur lausannois fait l’objet d’un beau livre aux Cahiers dessinés tandis que l’Espace RichterBuxtorf lui consacre une petite exposition

A quoi reconnaît-on une oeuvre qui aura marqué son époque? Probablement au fait qu’elle demeure après la disparition de son auteur d’une acuité et d’une force inégalée. Il en va ainsi de la musique de David Bowie comme des dessins de Philippe Becquelin, alias Mix & Remix. Cinq ans après son décès, survenu onze mois après celui du chanteur londonien, le dessinateur lausannois fait toujours mouche. A Lausanne, l’Espace RichterBuxtorf lui rend hommage à travers un petit accrochage survolant une trentaine d’années de création. On y découvre notamment quelques dessins dans lesquels ses bonshommes aux gros pifs commentent l’actualité et l’ère du temps.

Sur l’un d’entre eux, on voit deux blouses blanches devant un labo. «Nous avons mis au point ce vaccin très cher…» se félicite le premier. Et son collègue de renchérir: «… et surtout très obligatoire!» A côté, un couple à la table d’un café. «Il faut changer d’état d’esprit…» lance l’homme, tandis que la femme qui lui fait face lui assène un cinglant: «Toi d’abord!» Pandémie, complotisme, impossibilité du dialogue sur les réseaux, en peu de mots Mix & Remix en dit beaucoup. La puissance de son style allie simplicité du trait et efficacité maximale du gag, qui souvent n’est pas une fin en soi, mais ouvre un vaste champ d’interprétations et invite à la réflexion. «Je critique plus souvent les commentaires faits sur un événement que l’événement lui-même. Mes dessins sont des commentaires de commentaires», nous disait-il en 2005 au moment de la sortie de Ça baigne (Glénat), un livre de dessins d’humour qui faisait suite à une expo que lui avait consacrée, sur l’invitation de Zep, le Festival de la bande dessinée d’Angoulême.

«Tout ça pour faire un art mineur»

Cet automne sort également, aux Cahiers dessinés, un imposant Monde selon Mix & Remix divisé en quatre grandes parties – les débuts, couvertures de journaux, affiches et dessins de presse. L’occasion de redécouvrir des peintures et pastels datant du milieu des années 1980 parsemés de squelettes et influencés par l’expressionnisme berlinois. En guise de préface, un passionnant entretien de Frédéric Pajak avec Dominique Becquelin permet de se souvenir de la manière dont ce gamin solitaire de Saint-Maurice qui voulait faire «des petits Mickey» est devenu une institution.

C’est finalement sur l’insistance d’Antoine Duplan (journaliste au Temps) qu’il acceptera de dessiner pour feu L’Hebdo, se souvient son épouse, moitié de Mix & Remix, duo d’artistes et graphistes dont il gardera à jamais le pseudonyme. Dans Le Monde selon Mix & Remix, ce croquis d’un dessinateur à sa table de travail: «Dans la bande dessinée, il faut savoir écrire ET dessiner… et tout ça pour faire un art mineur!» Philippe Becquelin ne s’est jamais vraiment pris au sérieux, pratiquant avec maestria le troisième degré et l’art de la contradiction, et c’est en cela qu’il est devenu un dessinateur de presse majeur. Qui sera encore célébré au printemps prochain avec la sortie de L’ami, portrait de Mix & Remix, «un portrait filmé subjectif» réalisé par son ami Frédéric Pajak.

Culture

fr-ch

2021-12-07T08:00:00.0000000Z

2021-12-07T08:00:00.0000000Z

https://letemps.pressreader.com/article/281840056957507

Le Temps SA