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Quand les préados font l’apprentissage du respect

Les incivilités ont, par endroits, pris l’ascenseur avec la pandémie. Et si, pour les réduire, on prenait les enfants par la main dès 10 ans? C’est le pari de la campagne «Le respect des gens et des choses» de la ville de Sion

AGATHE SEPPEY @AgatheSeppey

«Ici, c’est un lieu où vous pouvez venir chiller (ne rien faire).» «Chiller?!», pouffe un petit farceur. Rires insouciants. Il est vrai que le mot de l’éducatrice de rue détonne pour une activité du temps scolaire. La familiarité est certainement voulue. Pour la proximité. Aujourd’hui, pas question de faire la morale. Le jour se lève péniblement sur Sion, ce 2 décembre. L’essaim de pulls à capuche vole de salle en salle au Totem, maison du centre de Rencontres, loisirs et culture (RLC). Studio d’enregistrement, parquet de danse, sono, canapés: tout est fait pour eux et ils le découvrent avec excitation. Eux, ce sont une grappe d’écoliers.

Ils ont 11 et 12 ans et leur ville a fait un pari: les motiver à éviter les incivilités en leur offrant des alternatives à la violence. Des lieux où tous les rêves sont permis. Et surtout, en leur proposant une sensibilisation au respect comme valeur centrale.

La presse suisse le signale depuis des mois: les incivilités semblent augmenter çà et là. Déprédations, littering (détritus sur la voie publique) et violences ont été davantage observés dans certains lieux publics ou écoles, alors que la virulence sévit sur les réseaux. Si le lien causal entre la pandémie et une tension sociale ambiante n’est pas toujours prouvé, certains le tracent volontiers. Mais comment éviter ces comportements qui touchent le vivre-ensemble en plein coeur? A Sion, le programme «Le respect des gens et des choses» mise sur la prévention des jeunes à l’âge charnière où ils ont un pied dans l’enfance et l’autre dans l’adolescence.

Les délits, mais aussi les alternatives

Au Totem, les élèves retrouvent le calme après la visite. «Il y a en moyenne moins de 2% de jeunes comme vous qui passent devant la justice des mineurs. On vous fait cette prévention pour vous protéger.» Valentin Lonfat, responsable jeunesse de la ville de Sion, pose les bases. «On veut vous occuper de manière intelligente.» Musique, danse, chant, films: les jeunes peuvent compter sur les éducateurs·trices de rue pour les accompagner, pour se lancer dans des projets qui les fassent vibrer hors de l’école. «Mon rêve, c’est de chanter! Je vais pouvoir peut-être le réaliser dans ce studio d’enregistrement», nous glissera Lorenna, 12 ans.

Puis, tout à coup, c’est la descente. A l’écran, une vidéo retrace l’histoire d’un jeune homme féru de tags «liberté» qu’il aime coucher au gros trait indélébile sur les murs. Avant de se faire arrêter par la police et de voir les factures à quatre chiffres tomber comme des couperets. «Six mois de prison?!» Choc général. L’innocence s’envole. La condamnation (avec sursis) abasourdit les écoliers. En plus, c’est une histoire vraie. «Il a eu 120000 francs à payer et il vient de finir de rembourser sa dette, à 40 ans. Aujourd’hui, il fait des graffitis légaux. A Sion, il y a des murs autorisés pour ça!», explique Valentin Lonfat. C’est là l’essence du programme. Pointer l’ombre et la lumière. Faire prendre conscience des conséquences des délits, mais aussi proposer des alternatives.

En route. La classe s’installe dans un car postal. Doux chahut. Le bus roule en direction du Cours Roger Bonvin. Cet espace de convivialité égaye, durant les beaux jours, l’intersection des deux quartiers les plus jeunes et peuplés de la capitale valaisanne. En marchant vers le skatepark, les élèves doivent ouvrir l’oeil pour savoir distinguer les tags des graffitis, l’illégalité de la légalité. Facile. Les premiers ne sont pas beaux, les seconds très. «En moyenne, un tag à repeindre coûte 1000 francs. Leur nombre a été réduit de moitié à Sion depuis le début de la campagne du respect», fait remarquer Valentin Lonfat.

Le timing est millimétré; le bus file déjà vers sa dernière escale. Depuis le début de la matinée, Cédric Dayer suit le groupe à la trace. Il est sergent-chef à la police régionale et «son moment» est arrivé. Comment sensibiliser aux incivilités sans questionner l’autorité? Sur la Planta, place phare de la ville, l’agent fait s’aligner les

«Je peux être refusée dans une école à cause d’une seule chose pas très grave au casier?» UNE ÉCOLIÈRE DE 8E HARMOS

élèves et les sépare en deux groupes qui échangeront leurs activités respectives dans un deuxième temps. La première équipe reçoit un condensé de bonnes pratiques liées aux transports en commun avec Claude Dametto, responsable de la sensibilisation scolaire chez Car Postal. L’autre suit le policier dans les entrailles des quartiers des forces de l’ordre. Descente au sous-sol. Carnotzet des flics. Le ton de Cédric Dayer est sympathique, son PowerPoint, moins. Littering, dommages à la propriété, vols, voies de fait. Code pénal, sursis, travaux d’intérêt général, casier judiciaire. Le jargon de la justice s’étale devant les enfants, les risques des incivilités effraient. «Je peux être refusée dans une école à cause d’une seule chose pas très grave au casier?», demande une élève. Eh oui.

Détour en cellule

Le coup de frayeur, bien que bienveillant, n’est pas terminé. Debout. Les ados font la file et débouchent devant une porte colorée. Blindée. «Voilà la chambre la moins confortable et la plus chère de Sion.» Excitation. Une cellule, une vraie. Comme dans les films. «C’est ça les toilettes? Oh monsieur…» Les jeunes se couchent sur le matelas, se collent au béton épais. Les doigts se lèvent, les interrogations fusent. Cédric Dayer répond avec rigueur et humour. «J’ai envie de sortir», lance Nani, 11 ans. Il nous jure qu’il restera sage. «Je ne veux pas et je ne vais pas faire de bêtise, pour ne pas devoir aller dans «la chambre»… On devrait la montrer à tout le monde et surtout aux gens qui font des bêtises pour qu’ils arrêtent.» Lorenna, elle, se dit «incapable» d’imaginer violer la loi. «Je me sentirais trop coupable. Mon papa m’a toujours appris à bien me comporter, pour que je puisse avoir un grand futur.» Les promesses résisteront-elles à l’épreuve du temps? Personne ne le sait. Ce qui est sûr, c’est que la graine du respect est plantée.

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2021-12-07T08:00:00.0000000Z

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