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Une thérapie génique pour traiter le syndrome de Hurler

MARC GOZLAN @MarcGozlan

Redoutable maladie génétique touchant le petit enfant, le syndrome de Hurler semble bénéficier des progrès de la thérapie génique. Ces résultats sont publiés dans l’hebdomadaire américain «The New England Journal of Medicine»

tLes avancées concrètes sont suffisamment rares dans le domaine de la thérapie génique pour ne pas signaler quand cette dernière porte ses fruits. Les progrès réalisés par une équipe italienne concernent ici une maladie génétique dégénérative touchant les très jeunes enfants, appelée syndrome de Hurler, dont les résultats ont été publiés le 18 novembre dans The New England Journal of Medicine.

On le rappelle, la thérapie génique consiste à introduire du matériel génétique dans des cellules pour soigner une maladie. Autrement dit, à délivrer aux cellules un gène thérapeutique («sain») capable de suppléer le gène muté («malade»). Selon les cas, le gène est introduit in vivo, directement dans l’organisme du patient, en étant embarqué dans un virus qui lui sert de véhicule. Dans d’autres cas, la thérapie est dite ex vivo dans la mesure où l’on modifie génétiquement les cellules du malade en laboratoire en y introduisant le gène thérapeutique avant de les lui réinjecter.

Dysfonction progressive de plusieurs organes

L’avancée réalisée par les scientifiques italiens concerne donc une pathologie génétique extrêmement rare (1 à 3,5 cas sur 100000 naissances vivantes): le syndrome de Hurler. Il s’agit d’une maladie lysosomale due à une surcharge de substances qui sont normalement dégradées par les lysosomes, des organites situés dans nos cellules. Cette maladie est due à un défaut sur le gène IDUA (pour alpha-L-iduronidase) et survient lorsqu’un enfant hérite de deux copies du gène défectueux, une de chaque parent.

Cette pathologie se traduit par une déficience enzymatique responsable de l’accumulation de composés dénommés GAG (pour glycosaminoglycanes) dans les tissus, entraînant progressivement le dysfonctionnement de multiples organes dont les os et les articulations, l’appareil respiratoire et le système nerveux central. On observe également une atteinte oculaire, cardiaque ou digestive (hernie inguinale ou ombilicale, augmentation de volume du foie et de la rate).

Le diagnostic est généralement évoqué à partir de 6 à 8 mois de vie, en particulier devant des particularités morphologiques (épaississement des traits du visage), des raideurs articulaires, des déformations du squelette. En l’absence de traitement, la maladie de Hurler est le plus souvent mortelle avant l’âge de 10 ans.

Pas de risques de rejet

La thérapie génique utilisée par les médecins et chercheurs milanais est dite ex vivo. Elle consiste en l’utilisation des propres cellules du patient qui lui sont réinjectées après avoir été modifiées génétiquement. Ce faisant, il n’y a pas de risque de rejet de la greffe, ni d’attaque des cellules greffées contre l’organisme du patient. Il s’agit en l’occurrence de recueillir du sang périphérique puis de sélectionner des cellules souches hématopoïétiques et des progéniteurs (dont sont issues toutes les cellules sanguines) pour y introduire une copie normale du gène IDUA. Ce gène thérapeutique est introduit via un vecteur viral dans les cellules du patient préalablement recueillies par une prise de sang.

Ces cellules deviennent alors porteuses d’une construction génique qui rend le gène IDUA hyperfonctionnel dans la mesure où les cellules vont produire l’enzyme manquant (l’alpha-L-iduronidase) à un taux supra-physiologique car supérieur au taux normal. Une fois ces cellules réinjectées au patient, l’enzyme lysosomal est sécrété en grandes quantités et peut alors exercer son action de proche en proche dans l’organisme. Préalablement à cette greffe, le patient reçoit un traitement dit myéloablatif qui consiste en quelque sorte à faire de la place aux cellules greffées afin qu’elles repeuplent la moelle osseuse et prennent finalement le dessus sur les autres.

Cette nouvelle thérapie vient compléter les deux traitements existants que sont l’enzymothérapie substitutive, qui vise à remplacer l’enzyme manquante par des injections intraveineuses, qui a pour avantage d’obtenir de bons résultats dans l’amélioration des symptômes respiratoires et cardiaques mais ne parvient pas à éviter les complications squelettiques ni à freiner le déclin des fonctions cognitives; et la greffe de cellules souches hématopoïétiques, qui apporte des cellules saines mais qu’il faut néanmoins pratiquer avant 12 mois via un donneur compatible et qui ne permet pas non plus de ralentir la progression des anomalies cognitives et squelettiques.

L’essai clinique, dont les résultats ont été publiés le 18 novembre dans The New England Journal of Medicine, s’est déroulé à l’Institut San Raffaele de Milan et a porté sur huit enfants (six filles et deux garçons âgés de 1,2 à 2,8 ans), dont deux venus de France. «C’est un essai clinique de phase I-II très prometteur, une avancée thérapeutique dans la mesure où les résultats intermédiaires semblent être tout à fait satisfaisants sur le plan de la sécurité et de l’efficacité», s’enthousiasme Anaïs Brassier, pédiatre à l’hôpital Necker à Paris (qui est un centre de référence des maladies héréditaires du métabolisme) et spécialiste des maladies lysosomales.

Nette amélioration

L’équipe du Pr Alessandro Aiuti rapporte une prise de greffe rapide et constante chez tous les enfants. Chez cinq des huit patients, le pourcentage à long terme de cellules sanguines porteuses du gène thérapeutique était supérieur à 30%. Chez tous les patients, des taux enzymatiques supra-physiologiques ont été obtenus dans les trente jours après la greffe et se sont maintenus à douze mois. Des taux d’enzyme, préalablement indétectables dans le liquide céphalorachidien, ont été enregistrés après la greffe, ce qui témoigne de l’activité de l’enzyme au sein du système nerveux central.

Les petits patients ont constaté une amélioration stable de leurs fonctions cognitives, de leurs capacités motrices, de même qu’une réduction de la raideur articulaire et une croissance normale. A l’imagerie IRM du cerveau et de la moelle épinière, les données montrent une amélioration ou une stabilisation des lésions. On ne retrouve plus dans les urines la présence des composés GAG, marqueurs biologiques.

Au total, cette thérapie génique permet donc une correction métabolique importante au niveau des tissus périphériques et même du système nerveux central. Des pédiatres de l’Université de Californie à San Francisco n’hésitent pas, dans un éditorial associé à l’article, à parler du possible «commencement de la fin» de la greffe de moelle osseuse comme traitement du syndrome de Hurler.

En l’absence de traitement, la maladie est le plus souvent mortelle avant l’âge de 10 ans

Science

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2021-12-07T08:00:00.0000000Z

2021-12-07T08:00:00.0000000Z

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