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Le défi du nouveau chancelier: convaincre pour radicalement réformer l’Allemagne

STÉPHANE BUSSARD @StephaneBussard

Mercredi, seize ans après Gerhard Schröder, il sera aisément élu à la Chancellerie par le Bundestag. Le social-démocrate Olaf Scholz a beau être décrit comme un politicien qui incarne la continuité avec Angela Merkel dont il fut le vice-chancelier, cet esprit hanséatique joue sur deux tableaux. La continuité et la rupture. En choisissant l’épidémiologiste réputé Karl Lauterbach comme ministre de la Santé au coeur d’une pandémie qui a atteint un pic inquiétant outre-Rhin, il continue de miser sur la rationalité chère à Merkel. Mais il veut aussi placer l’Allemagne sur une nouvelle trajectoire, conscient du fait que le pays ne peut pas se contenter d’une rente de situation.

Le nouveau chef du gouvernement ne manque pas d’ambition en annonçant «la plus grande modernisation industrielle» de l’histoire récente du pays. Son principal défi sera de convaincre la population de le suivre dans cette entreprise herculéenne. On l’a vu avec l’émergence de Pegida puis de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) ainsi qu’avec les mouvements antivax qui s’expriment ces jours en Saxe, la société allemande est menacée de fragmentation. La future ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, promet déjà un combat acharné contre l’extrémisme de droite. Les efforts qui devront être fournis pour réformer l’économie et le secteur énergétique risquent d’accentuer une telle polarisation. Dans cet exercice d’équilibrisme, la présence des libéraux (FDP), dans une coalition nouvelle dominée par les sociaux-démocrates et les Verts, pourrait atténuer les critiques.

Face à une géopolitique marquée par une forte rivalité entre les deux plus grandes puissances de la planète, Etats-Unis et Chine, le gouvernement Scholz nourrit aussi l’espoir de renforcer la souveraineté stratégique de l’Union européenne. Un dessein louable dont la réalisation dépendra toutefois beaucoup de la personne qui siégera à l’Elysée après la présidentielle française. A ce titre, la sensibilité de la future cheffe de la diplomatie allemande, la Verte Annalena Baerbock, converge avec la volonté de Berlin de réaffirmer les valeurs démocratiques face à la Chine et à la Russie. Un point très sensible pour une économie d’exportation qui ne s’embarrasse pas toujours des droits humains.

Pour réussir, Olaf Scholz a constitué un cabinet paritaire où les femmes n’ont jamais occupé de postes aussi importants: Affaires étrangères, Intérieur et Défense. Un clin d’oeil manifeste à une dame qui tire sa révérence, «Mutti» Merkel.

Le dessein de renforcer la souveraineté stratégique de l’Union européenne

La région est la lanterne rouge du pays sur le plan des nouvelles infections. En parallèle, les opposants aux mesures sanitaires multiplient les actions dans les différentes localités

Canons à eau, policiers à cheval, renforts venus des Bundesländer voisins: la police de Saxe avait mobilisé les grands moyens en ce lundi 6 décembre. Des manifestations non autorisées étaient attendues en début d’après midi mais surtout en fin de journée de la part d’opposants aux mesures sanitaires, en plein coeur de Dresde et dans plus de 80 autres localités de cette région. Le même jour, au parlement saxon, les élus régionaux ont débattu des nouvelles mesures à prendre pour tenter d’enrayer l’essor de la pandémie. Ce land du sud-est de l’Allemagne est de loin le plus touché, avec un taux d’incidence de 1234 nouveaux cas pour 100000 habitants en une semaine, soit trois fois plus que la moyenne nationale. Et si Dresde faite presque figure de bonne élève, avec un taux d’incidence inférieur à 1000, certaines zones dépassent les 2000, notamment à la frontière tchèque.

«La situation n’est pas si grave»

En ce lundi gris et froid, quelques dizaines de manifestants, des retraités en partie, ont défié la petite neige pour exprimer leur colère. «Ces mesures sont inappropriées», s’insurge Holger, habitué des manifestations, et non masqué. «La situation n’est pas si grave que ça. On nous dit que les hôpitaux sont pleins, or ce n’est pas à cause du Covid-19 mais des fermetures de lits et du manque de personnel», juge ce retraité, non vacciné. Plus loin, deux jeunes hommes écoutent la session plénière du parlement saxon sur leur téléphone.

«Mon grand-père était doublement vacciné, il est quand même tombé malade. Il a été hospitalisé, mais maintenant il va bien», nous lance Tobias, un grand baraqué. «Je ne nie pas l’existence du virus, mais est-il aussi grave qu’on nous le fait croire?» demandet-il. Pour lui, le quasi-confinement des personnes non vaccinées – désormais interdites de magasins, bars, restaurants et autres lieux de loisir – est discriminant. «Je suis pour que tout le monde se teste, rien de plus», juget-il. Lui-même se teste tous les jours pour aller au travail, comme l’exige son employeur, une société de sécurité. Quant au vaccin, pas question, même si cela doit devenir obligatoire comme le prévoit le nouveau gouvernement d’Olaf Scholz. Une loi pourrait imposer la vaccination aux soignants dans un premier temps, et à tous d’ici au mois de février.

Un peu plus loin, un autre participant, très remonté envers la police, se plaint de vivre dans une «dictature, comme en 1933». «Où sont nos droits fondamentaux depuis deux ans?» lance cet homme, un bonnet sur la tête. «La Cour constitutionnelle a jugé la semaine dernière que le confinement du printemps était justifié. Les juges sont tous à la botte des politiques», enchaîne-t-il, tout en se disant compréhensif envers les auteurs d’un incident qui a pourtant soulevé un tollé ce week-end en Saxe. En effet, vendredi soir, une trentaine de manifestants se sont rassemblés devant la maison de la ministre saxonne de la Santé, Petra Köpping, à Dresde, avec des flambeaux à la main. Une action qui rappelle les manifestations des militants nazis dans les années 1930. «Quand il n’y a pas d’autre moyen de nous faire entendre…» fait valoir ce retraité.

Inquiétude instrumentalisée

Dénoncé par l’ensemble des politiques, extrême droite incluse, cet incident révèle la montée des tensions dans le pays depuis la quatrième vague. Depuis quelques semaines, des rassemblements non autorisés sont quotidiennement organisés en Saxe, à la nuit tombée, dans une multitude de localités, aiguillonnées par le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) et par des groupuscules radicaux comme Freie Sachsen et Dritter Weg. «On constate une radicalisation et une décentralisation des actions», analysait la semaine dernière Hans Vorländer, directeur du centre Midem de Dresde qui a réalisé une vaste étude sur les populistes en période de pandémie. «Ils déposent des bougies funéraires, se promènent la nuit pour prendre la police par défaut. Les organisations extrémistes utilisent ces «citoyens inquiets», au coeur de la société, et les radicalisent», constate-t-il.

Dans l’hémicycle du parlement régional, la division de la société est en tout cas flagrante. Tandis que le ministre-président, le chrétien-démocrate Michael Kretschmer, a accusé ce lundi l’AfD de souffler sur les braises, l’extrême droite, première force politique mais dans l’opposition, estime que l’exclusion de 40% des habitants de la vie normale est «la véritable source de division». En Saxe, quatre habitants sur dix ne sont pas vaccinés, le niveau le plus élevé du pays. «Non à la fermeture des marchés de Noël, non à la vaccination obligatoire», a lancé récemment l’élu AfD Rolf Weigand. Entre les deux camps, le dialogue semble impossible.

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2021-12-07T08:00:00.0000000Z

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