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Plus d’arbres et de patrimoine, moins de logements et de parkings

MARC GUÉNIAT

Les services d’Antonio Hodgers ont réexaminé une centaine de plans localisés de quartiers qui organisent les futures constructions

Cela peut paraître technique et rébarbatif, mais c'est à ces impulsions administratives que l'on identifie les axes d'une politique et la façon dont elle est concrètement mise en oeuvre. Le Département du territoire (DT) veut maximiser le nombre d'arbres, préserver le patrimoine bâti d'intérêt et limiter le nombre de places de stationnement, en surface comme au sous-sol.

Ces buts en tête, il a passé en revue, durant une année, une centaine de plans localisés de quartier (PLQ), qui organisent les futurs constructions et espaces publics. Il n'en résulte pas de décret, mais une stratégie à suivre au fur et à mesure que ces PLQ se réalisent. «Mes services reçoivent beaucoup de critiques sur ce qui a été planifié hier mais qui se construit aujourd'hui», explique le conseiller d'Etat Antonio Hodgers.

Arbitrage délicat

L'arbitrage se révèle délicat puisque la poursuite de ces objectifs suppose parfois de renoncer à la construction de logements. Des centaines de logements dont Genève a besoin pourraient ainsi passer à la trappe. De plus, la démarche peut créer une insécurité juridique susceptible de froisser les promoteurs, publics comme privés, à qui l'Etat compte demander de revoir leurs ambitions à la baisse.

Elaboré à grand renfort de concertation, le PLQ constitue une étape essentielle de l'aménagement cantonal, dans une procédure qui dure au moins 30 mois, recours non inclus. Les communes concernées sont consultées et leur préavis peut faire l'objet d'un référendum. In fine, son adoption relève du Conseil d'Etat et précède la délivrance d'une autorisation de construire qui permet la réalisation d'un projet urbanistique. Il s'écoule facilement une dizaine d'années entre la naissance d'un tel projet et son achèvement.

Associations frondeuses

Trois enjeux ont été passés au crible de l'Office cantonal de l'agriculture et de la nature et de l'Office du patrimoine et des sites: ceux liés à la nature et au changement climatique, au patrimoine ainsi qu'à l'espace public et au stationnement. Leurs constats sont soumis à une analyse des risques, comme un recours des riverains ou l'écho médiatique et politique qui pourrait résulter de l'abattage d'arbres. En filigrane, on devine la crainte que suscitent les associations écologistes, de défense du patrimoine ou de propriétaires, comme Pic-Vert et Sauvegarde Genève.

Sur la centaine de PLQ réexaminés, une vingtaine, parmi les plus récents, ne requièrent pas d'action spécifique. Près d'une vingtaine, parfois adoptés il y a plus de 30 ans, devraient être abrogés ou entièrement révisés. «On admet qu'un PLQ a une durée de vie de 10 à 15 ans et qu'au-delà, il peut évoluer, note Bertrand Reich, président du PLR et ancien président de la Chambre genevoise immobilière. Si un promoteur n'a pas construit dans cet intervalle, c'est qu'il y a un problème. Il me paraît juste que l'Etat revisite ces projets.»

Pour le justifier, les autorités invoquent la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, qui dispose que «lorsque les circonstances se sont sensiblement modifiées, les plans d'affectation feront l'objet des adaptations nécessaires». Les enjeux climatiques constituent une telle circonstance.

Pour une soixantaine de PLQ disséminés sur l'ensemble du canton, l'Etat entend négocier une adaptation du projet au moment de délivrer l'autorisation définitive de construire. Antonio Hodgers concède que sa marge de manoeuvre est étroite, faute de quoi l'Etat s'expose au paiement d'indemnités en raison de l'expropriation matérielle des droits à bâtir que confère un PLQ au propriétaire. Mais il entend défendre son credo: «Moins de voitures, plus de nature.»

C'est le cas à Lully, dans la commune de Bernex, où un PLQ de 2018 prévoit la construction de 180 logements sur le terrain d'un maraîcher. Le DT entend réduire l'emprise importante du parking envisagé en sous-sol, qui empêche de planter des arbres en pleine terre. De tels exemples sont légion, comme dans cet autre projet qui prévoit 41 places de parking visiteurs en surface, alors que les futurs bâtiments bordent une ligne de tram.

L'examen aboutit parfois à la formulation de recommandations anodines, comme végétaliser les toitures, mais aussi à des modifications importantes. Au centreville, la construction d'environ 65 logements pourrait être compromise en raison de la «découverte» d'un cèdre, d'un sapin et d'autres arbres. Par ailleurs, une «nouvelle perception» patrimoniale des villas existantes, vouées à la démolition, permet d'entrevoir leur préservation au nom de la mémoire des faubourgs du quartier. Le respect de ces recommandations engendrerait une possible atteinte au droit à bâtir des propriétaires.

Déjà partiellement réalisé, un PLQ à cheval entre Lancy et Onex devant abriter 340 logements au total pourrait être remis en question. Sur ces parcelles appartenant à l'Etat et à des privés, deux maisons jugées intéressantes doivent être investiguées d'un point de vue patrimonial, font valoir les services de l'Etat.

A Chêne-Bougeries, la réalisation d'un cinquième bâtiment dédié au logement est sur la sellette du fait de la présence d'une ancienne vinaigrerie, dont l'intérêt avait été jugé secondaire au moment de l'adoption du PLQ. La perspective a changé: son remplacement par un bâtiment neuf n'offrirait pas un grand potentiel de densification.

Privés comme publics, les propriétaires pourraient s'irriter de devoir réduire le gabarit des bâtiments prévus, modifier les plans, supprimer des dizaines de places de parking, tenir compte de la présence d'une espèce menacée sur le terrain, renoncer à une construction pour préserver la continuité d'un cordon arboré, etc. «Les propriétaires ont parfois acquis une parcelle en fonction de l'image projetée figurant dans le PLQ. C'est une source d'insécurité juridique», relève une source bien informée.

Pour le DT, les améliorations préconisées ne devraient pas poser de problèmes majeurs dans plus de trois quarts des PLQ examinés. Les autres seront revus d'entente avec les propriétaires. Il dit ne pas pouvoir chiffrer l'impact de sa démarche sur le nombre de logements, parce que les «ajustements» seront discutés au cas par cas. «Mais si l'on augmente fortement la qualité d'un projet, je suis prêt à assumer une perte de 5 à 10% de logements, indique Antonio Hodgers. Nous préférons négocier, mais sommes aussi prêts au bras de fer devant la justice si nécessaire.»

L’Etat entend réduire l’emprise du parking, qui empêche de planter des arbres en pleine terre

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2021-12-07T08:00:00.0000000Z

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