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Pourquoi les hôpitaux hésitent à ouvrir des lits covid

MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaume

Lors de la première vague, les hôpitaux avaient créé des centaines de lits supplémentaires de soins intensifs. Aujourd’hui, ils manquent surtout de personnel, mais aussi d’un signal de la Confédération à compenser la perte de leurs recettes depuis le début de la crise

tAlors que la cinquième vague du coronavirus déferle sur les hôpitaux, le bras de fer se poursuit entre l’association faîtière H+ et le Conseil fédéral quant à l’indemnisation des pertes de recettes des établissements hospitaliers depuis le début de la crise. Une issue favorable pour ces derniers est de moins en moins plausible. Le 21 novembre dernier, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) du Conseil des Etats a rejeté quatre initiatives des cantons de Schaffhouse, d’Argovie, du Tessin et de Bâle-Ville.

Le débat n’est pas nouveau. Il a surgi après que le Conseil fédéral a décrété l’état de «situation extraordinaire» le 16 mars 2020, obligeant tous les hôpitaux à reporter durant six semaines toutes les opérations non urgentes.

Une année et demie plus tard, l’affaire n’est pas réglée. Selon les derniers chiffres de l’association SpitalBenchmark, les hôpitaux et cliniques ont subi des pertes de recettes et enregistré des coûts supplémentaires de l’ordre de 1,3 à 1,5 milliard de francs durant la première vague.

Le «non» ferme du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral n’est jamais entré en matière pour les compenser. Le ministre de la Santé Alain Berset allègue que la politique hospitalière est du ressort des cantons et qu’il n’est pas question que la Confédération rembourse des interventions non facturées. De plus, certains cantons ont réglé le problème tout seuls. Dès lors, le dossier est bloqué, ainsi que le constate la présidente de la faîtière des hôpitaux H+. «Du moment que certains cantons ont trouvé une solution interne, il est plus difficile d’avoir une position commune forte auprès du Conseil fédéral», déplore-t-elle.

L’impasse subsiste, même après une rencontre au sommet, le 23 août dernier, entre Alain Berset et une délégation de H+. La Confédération a exclu toute participation à ces pertes de recettes, malgré le soutien de la

Conférence des directrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS). «En prononçant l’interdiction des opérations non urgentes, la Confédération a directement engendré un préjudice financier qui ne peut pas être à la charge des seuls cantons», estime la CDS. A long terme, celle-ci ajoute qu’il convient de tout mettre en oeuvre pour créer un cadre juridique précisant qui paie quoi en cas de pandémie.

Etonnamment, les hôpitaux n’ont pas été soutenus par leur propre Chambre, le Conseil des Etats, lorsque sa commission de santé s’est emparée du sujet le 21 novembre dernier. Par neuf voix contre trois, elle a repoussé les quatre initiatives cantonales. Elle estime aussi que la mise à disposition des services de soins intensifs fait partie des tâches qui incombent aux cantons: «Cette répartition des compétences n’a pas été invalidée par l’état de situation extraordinaire décrétée en mars 2020», se justifie la commission.

«Les hôpitaux, une cause nationale»

Conseiller national (Vert’libéraux/ GE) et vice-président de la FMH, Michel Matter regrette cette décision. Il a fait une proposition individuelle de modifier la loi covid de manière à «renforcer la planification et la coordination des lits de soins intensifs», notamment. «Le soutien aux hôpitaux doit devenir une cause nationale si nous voulons que ceux-ci soient résilients», souligne-t-il.

L’impasse dans ce dossier explique en partie la réticence des hôpitaux à augmenter leur nombre de lits de soins intensifs, alors qu’ils l’ont fait en mars 2020. Actuellement, ils en comptent quelque 870, comme à l’époque. «Lors de la première et de la deuxième vague, les centaines de lits supplémentaires mis à disposition ont été des lits de réserve non certifiés, pour lesquels les règles sont moins strictes», précise-t-on chez H+. Mais actuellement, une telle hausse n’est plus possible. «Environ 10 à 15% des infirmiers spécialisés dans les soins intensifs ont démissionné depuis le début de la pandémie, tandis que d’autres ont réduit leur temps de travail.»

Officiellement, ce ne sont que des «raisons médicales» qui incitent les hôpitaux à ne plus bouleverser leur fonctionnement habituel au détriment des patients non covid. Mais en aparté, l’on murmure que des motifs économiques dictent aussi cette politique.

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2021-12-07T08:00:00.0000000Z

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