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Les dessous d’un sommet pour freiner l’érosion démocratique, par François Nordmann

La date choisie par l’administration américaine pour convoquer le sommet pour la démocratie est symbolique: elle se situe entre le 80e anniversaire de l’attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, et celui de la déclaration de guerre à l’Amérique par Hitler quatre jours plus tard, le 11 décembre suivant. Au lendemain de la destruction de la flotte du Pacifique, Churchill craignait que Roosevelt ne se tourne entièrement vers la guerre asiatique déclenchée par le Japon, au détriment du front européen. La rupture décidée à Berlin – totalement irrationnelle – a permis au président des Etats-Unis d’entrer formellement dans ce qui devenait une guerre mondiale, et qui, soit dit en passant, a «sauvé l’Europe», selon le mot de John Kenneth Galbraith.

Le sommet virtuel des 9 et 10 décembre prochains, préparé par une série d’ateliers ces derniers mois, ouvrira une période d’actions et de sensibilisation à travers le monde. Un nouveau sommet de clôture est d’ores et déjà prévu dans une année. Trois thèmes doivent structurer le débat: d’abord, combattre l’autoritarisme; puis lutter contre la corruption et enfin promouvoir les droits humains – le 10 décembre est la Journée des droits de l’homme. On aurait pu imaginer que la lutte contre la désinformation et l’ingérence de puissances étrangères dans les processus électoraux soient traitées de manière plus spécifique. Ce thème sera abordé, mais il est sensible: les travaux préparatoires ont eu lieu à huis clos, ce qui indique que l’on a vraisemblablement recouru à des rapports de services de renseignement.

La mobilisation des démocraties face aux menaces dont elle est l’objet est une idée personnelle du président Joe Biden, qui s’inscrit parfaitement dans l’histoire de la république américaine. Rendre le monde sûr pour que la démocratie s’y développe, telle était l’ambition du président Wilson en 1917; la Charte de l’Atlantique adoptée en août 1941 par Roosevelt et Churchill lui fait écho en proclamant le principe du droit des peuples à choisir leur gouvernement. Le projet de la Maison-Blanche a toutefois suscité des réserves, car il paraît aussi participer de l’offensive générale contre la Chine, cible principale des efforts des Etats-Unis. Les alliés européens de Washington, qui partagent ses préoccupations, ne veulent cependant pas se laisser embrigader dans la rivalité systémique des deux superpuissances. D’autre part, le défi posé par la Chine ou la Russie est de nature géostratégique. Ni Poutine ni Xi Jinping ne font une priorité de l’exportation de leur modèle autoritaire, en dépit de leur rhétorique: ils ont fort à faire à préserver leur pouvoir chez eux. C’est à la puissance des Etats-Unis et de leurs alliés qu’ils s’en prennent. Ni Moscou ni Pékin ne sont à l’origine de la crise du système démocratique, comme le relève un récent article du Washington Post. Si l’on constate une érosion des pratiques démocratiques dans la plupart des pays proches des EtatsUnis, c’est sous l’influence de facteurs intrinsèques – limitation du droit de vote, politisation des tribunaux, obstacles au droit de recours comme aux Etats-Unis, diverses restrictions ailleurs. Cette tendance s’est accélérée sous la présidence Trump, mais elle existait avant 2016.

La conférence voulue par l’administration n’est donc pas exempte de contradictions, comme le démontre également la liste des participants. La Pologne illibérale est invitée, mais pas la Hongrie; les Philippines, le Brésil, la République démocratique du Congo sont admis, pour des raisons politiques, leur contribution à la défense de la démocratie étant particulièrement faible… La question se pose aussi de savoir si les EtatsUnis sont les mieux placés pour réunir une centaine de pays pour la défense de la démocratie: les événements du Capitole au début de cette année, le refus de Trump d’accepter sa défaite affaiblissent la prétention de Washington à prendre la direction d’un nouveau mouvement en vue de consolider la démocratie. En fin de compte, cependant, il n’est pas inutile que les pays démocratiques se livrent à un examen du fonctionnement de ce régime à l’heure du numérique et de l’internet, échangent leurs expériences et apprennent à riposter aux attaques dont ils sont l’objet.

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2021-12-07T08:00:00.0000000Z

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