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La justice extraterritoriale, source d’espoir pour les victimes

En l’espace de quelques mois, la justice allemande a rendu, dans trois villes différentes, des jugements de grande importance dans des affaires de mise en esclavage, notamment sexuelle, par Daech/ISIS en Syrie et en Irak. Ces affaires concernent les femmes de la communauté yézidie, cette minorité confessionnelle monothéiste présente notamment en Syrie et en Irak, qui a été une cible de choix des combattants de Daech. Un tribunal à Hambourg a condamné une Germano-Tunisienne pour appartenance à une organisation terroriste puis en juillet à une peine supplémentaire de prison pour actes d’esclavage sexuel contre deux femmes yézidies en Syrie. Cette femme est la veuve du rappeur allemand Deso Dogg qui rejoignit Daech en 2014 et fut tué en 2018 lors d’une frappe aérienne.

Au mois d’octobre de cette année, un tribunal munichois a condamné Jennifer Wenisch, une ressortissante allemande, à 10 ans de prison pour le meurtre qualifié de crime de guerre commis en Irak contre une enfant yézidie de 5 ans. Cette enfant avait été réduite en esclavage avec sa mère par Jennifer Wenisch et son mari, Taha al-Jumailly. En plus d’avoir subi d’autres sévices terribles, l’enfant avait été enchaînée à l’extérieur sous une chaleur torride, ce qui avait entraîné sa mort. Enfin une troisième affaire en Allemagne, rapportée par Le Temps, a débouché la semaine dernière sur une condamnation historique par la Haute Cour régionale de Francfort: le mari de Jennifer Wenish, Taha al-Jumailly, un Irakien de 29 ans, a été reconnu coupable d’acte de génocide, de crime contre l’humanité et de crimes de guerre, notamment pour le meurtre de la fille yézidie à Falloujah, dont il avait acheté la mère comme esclave sexuelle. C’est la première fois que les actes de Daech commis contre la communauté yézidie sont reconnus juridiquement comme actes de génocide.

A l’heure où la communauté internationale reste totalement incapable de mettre sur pied une réelle justice internationale pour juger des crimes ignominieux commis sur une décennie en Syrie et en Irak, ces trois affaires historiques ont toutes été jugées par des tribunaux nationaux allemands pour des crimes commis par Daech sur une base extraterritoriale. Cela permet, à certaines conditions, d’établir la compétence des juridictions nationales quand une personne soupçonnée de crimes internationaux se trouve sur son territoire (principe de compétence universelle), ou bien possède sa nationalité (principe de la personnalité active). Et ce quand bien même cette personne n’a commis aucun crime sur le territoire du pays concerné.

Ces affaires démontrent une fois encore que des poursuites basées sur ces principes sont souvent la meilleure, voire la seule, option pour les victimes. L’augmentation de la pratique et donc de la jurisprudence sur ce type de procès est une source d’espoir immense pour toutes les personnes qui ont subi des crimes internationaux. Ainsi, le précédent créé par ces jugements allemands sur les crimes contre les Yézidis devrait aider aussi, on l’espère, d’autres communautés, et notamment la minorité chrétienne d’Orient, à faire reconnaître et juger les crimes subis contre elle.

On pense en effet à l’histoire d’une chrétienne d’Irak, violée par des dizaines et des dizaines d’hommes de Daech, vendue et revendue comme esclave sexuelle douze fois sur une période de deux ans de Qaraqosh en Irak à Raqqa Syrie. Le calvaire inouï de cette femme a été raconté avec force par Sara Daniel et Benoît Kanabus dans La Putain du califat publié cette année chez Grasset. Les similitudes entre les sévices et avanies subis par les Yézidis et les chrétiennes sont légion. Ainsi l’affaire contre Jennifer Wenisch a révélé son rôle dans les patrouilles morales de Daech à Falloujah et à Mossoul, cette dernière vérifiant la conformité des vêtements des femmes avec les règles de l’Etat islamiste.

Cela fait écho à l’histoire de la femme chrétienne narrée par Sara Daniel et Benoît Kanabus, qui fut vendue notamment à un membre de Daech, dont l’épouse, Française, faisait partie d’Al-Khansa, la brigade de la vertu. Cette Française de Daech arpentait ainsi les rues de Raqqa «à la recherche de soeurs à l’abaya trop ajustée ou au tissu trop brillant», et arrachait «à la pince les ongles vernis qu’elle découvre sous les gants, mord à pleines dents d’acier les seins jusqu’à ce que mort s’ensuive». Il est à souhaiter que ces procédures extraterritoriales se multiplieront pour les crimes innombrables commis contre les Yézidis. Et que ces précédents aideront enfin les chrétiens d’Orient, en voie de disparition progressive au Moyen-Orient, à obtenir justice, et notamment pour les actes barbares d’esclavage sexuel commis aussi contre les femmes de cette minorité religieuse dans la région.

Le précédent créé par ces jugements allemands sur les crimes contre les Yézidis devrait aider d’autres communautés

Débats

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2021-12-07T08:00:00.0000000Z

2021-12-07T08:00:00.0000000Z

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