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Le tabou brisé du vaccin obligatoire

On est encore loin de l’obligation, mais des voix se lèvent, dont celle du conseiller d’Etat genevois Mauro Poggia, pour encourager le parlement à se saisir de la question. Si certains se montrent favorables à Berne, le plus plausible reste une extension

LAURE LUGON ZUGRAVU @LaureLugon

«Je pense qu’il faudra y arriver», déclare au «Temps» le Genevois Mauro Poggia à propos de la vaccination obligatoire. Sur quelle base légale?

■ D’autres encouragent le parlement à se saisir du sujet. Mais le plus plausible reste une extension de la règle des 2G, réservant l’accès aux guéris ou vaccinés

■ Les hôpitaux, déjà surchargés, hésitent à ouvrir des lits covid, en partie parce que leurs pertes de recettes de la première vague n’ont pas été compensées

■ Le canton de Vaud, lui, irrite à Berne en raison de la lenteur de son dispositif de tests. Contrairement à d’autres, il n’a pas fait appel aux cliniques privées

Les nouvelles mesures sont à peine entrées en vigueur qu’on pense déjà à durcir les restrictions. C’est que la situation sur le front hospitalier n’est pas bonne. C’est aussi que les vaccinés commencent à donner de la voix, frustrés de n’avoir aucun avantage ou presque après avoir accepté la piqûre.

Avec la possibilité offerte à tous les établissements publics et à tous les événements se déroulant à l’intérieur ou en plein air d’introduire la règle des 2G (pour geimpft ou genesen, soit «vacciné» ou «guéri»), un premier tabou a été brisé. Désormais, la question est d’étendre ou non cette règle à d’autres secteurs d’activité.

«Je pense qu’il faudra y arriver»

Certains franchissent même le tabou ultime, la vaccination obligatoire. Coutumier de la parole franche mais pas toujours suivie, le conseiller d’Etat genevois Mauro Poggia ne déroge pas à son style: «Pour autant que ce soit une décision applicable sur tout le territoire, je pense qu’il faudra y arriver, et plus vite le parlement se saisit du sujet, plus vite nous saurons si cette voie est politiquement praticable.» Il égratigne au passage la conseillère nationale argovienne du Centre, Ruth Humbel, qui propose l’obligation dès 65 ans: «J’ai entendu Madame Ruth Humbel proposer des décisions cantonales pour les plus de 65 ans et je trouve cela peu courageux, sachant que les disparités cantonales vont placer les cantons qui optent pour cette voie dans une situation très difficile.» De son côté, le président de la Conférence des directeurs cantonaux de la santé (CDS), Lukas Engelberger, a estimé que la règle des 2G ne suffira pas, sans parler d’obligation vaccinale, mais en évoquant de nouvelles mesures restrictives à la clé.

Chez les socialistes, on appelle à ouvrir le débat, par la voix notamment du coprésident du Parti socialiste suisse, Cédric Wermuth. Dans son sillage, le conseiller national zurichois Fabian Molina affirme que la vaccination obligatoire est la plus proportionnée des solutions. Il a d’ailleurs posé une question au Conseil fédéral, lui demandant s’il y a déjà réfléchi, de quelle marge de manoeuvre il dispose en vertu de la loi sur les épidémies et à quelles conditions il serait prêt à proposer au parlement les modifications de loi nécessaires. La réponse du Conseil fédéral, lundi en fin d’aprèsmidi, est assez vague: non, ce n’est pas prévu, il rappelle que ce sont les cantons qui sont à la manoeuvre pour les groupes à risque et que le gouvernement fédéral, s’il pourrait rendre également la vaccination obligatoire pour certains groupes à risque sur la base de la loi sur les épidémies, n’aurait qu’une compétence subsidiaire.

«Les vaccinés en ont marre des concessions»

De fait, il serait étonnant que la vaccination obligatoire soit un jour décrétée en Suisse, étant à l’opposé de la culture politique. On voit mal en tout cas la droite libérale y souscrire. Quant à l’UDC, c’est un no go, y compris pour la règle des 2G. Le conseiller national PLR Philippe Nantermod préfère tabler sur une extension de celle-ci: «Le PLR va proposer cette semaine la règle des 2G facultative, car une 2G obligatoire serait trop proche de la vaccination obligatoire, à laquelle le PLR n’est pas favorable. En outre, on voit mal le Conseil fédéral imposer la 2G, à moins que le triage dans les hôpitaux ne devienne la norme.» Pour l’élu valaisan, une 2G facultative serait en quelque sorte une prime à l’effort vaccinal: «Les vaccinés en ont marre des concessions et des penalties en faveur des récalcitrants.» Qu’une entreprise puisse, comme c’est le cas aujourd’hui, choisir la règle des 2G mais devoir encore imposer le masque dans les bureaux lui semble injuste, «alors qu’un vacciné est mieux traité dans une boîte de nuit».

Une opinion qui va dans le sens de la Fédération des entreprises romandes (FER), dont le directeur général, Blaise Matthey, estime aussi que le port du masque devrait être laissé à l’appréciation des entreprises qui appliquent les mesures. Philippe Nantermod invoque aussi de ses voeux une règle des 2G dans les magasins, les fitness, les hautes écoles et les hôpitaux: «Il est incroyable que les hôpitaux n’aient pas la possibilité de la 2G. Quant aux étudiants qui ne veulent pas de la piqûre, qu’ils suivent les cours à domicile.»

Une question de timing

A Genève, qui est à ce jour plus restrictif que ce que permet la Confédération, Mauro Poggia promet que la question du masque en présence de la règle des 2G sera discutée: «Il me semblerait logique que si la 2G est choisie par un établissement, le masque ne soit plus requis.» A entendre le ministre genevois, l’étau pourrait aussi se resserrer pour le personnel soignant qui rechigne à se faire vacciner: «Pour les soignants, c’est une option qui doit être discutée. Il faut cependant examiner préalablement si l’admission de personnel testé a concrétisé un risque ces derniers mois.»

Tout porte à croire que la règle des 2G pourrait passer haut la main au Conseil fédéral, dont l’hypothèse a déjà été évoquée par Guy Parmelin à la radio alémanique SRF. Reste le timing: comme de nouvelles mesures sont entrées en force lundi, un nouveau tour de vis, effectué ce vendredi déjà, pourrait être prématuré. Encore que les vaccinés, majoritaires, ne l’envisageraient probablement pas comme tel, mais comme un assouplissement.

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2021-12-07T08:00:00.0000000Z

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