Le Temps epaper

A Genève, le luxe se refait une beauté

A l’approche des fêtes de fin d’année, les inaugurations de boutiques horlogères et joaillières se multiplient à la rue du Rhône. Ce phénomène, à lier avec la réinvention du rôle des points de vente, est salué mais met en évidence des défis pour le commer

ALEXANDRE STEINER @alexanstein

L’accélération de la vente en ligne n’aura pas raison des boutiques horlogères et joaillières. Sur la rue du Rhône à Genève, elles sont au contraire en pleine renaissance. Cartier (Richemont) a présenté ses locaux transformés la semaine dernière. Ce jeudi, ce sera au tour de Longines (Swatch Group) d’y ouvrir sa première boutique. Suivront les inaugurations d’Omega (Swatch Group) et Panerai (Richemont) début décembre, ainsi que de Richard Mille, qui n’a pas encore communiqué de date.

«Genève a un statut à part, un peu comme Florence ou New York. Ces villes sont des aimants pour les professionnels et les touristes. Nous devons y présenter une vitrine au-delà de la simple boutique», indique au Temps JeanMarc Pontroué, patron de Panerai. Sans donner de montant précis, il lâche que plusieurs millions – pas des dizaines – ont été investis dans les travaux et que tout sera fait pour que l’ouverture puisse avoir lieu comme prévu le 5 décembre. On devine qu’il n’entend pas rater les fêtes de fin d’année, synonymes de cadeaux et donc de chiffre d’affaires.

Ce grand ravalement de façade de la rue du Rhône réjouit JeanMarc Pontroué: «Plus un domaine d’activité atteint une taille critique dans une ville, plus elle est repérée pour cette spécialité. Ce n’est pas nouveau que Genève soit un pôle horloger, mais on voit apparaître de nouveaux concepts et une théâtralisation de l’expérience client. Le but est davantage de faire connaître la marque que de réaliser des transactions. Nespresso et Apple le font depuis des années, et cela a eu un impact sur le monde du luxe dans son ensemble.»

L’enjeu économique est toutefois de taille, à en croire l’étude annuelle sur l’industrie horlogère suisse du cabinet Deloitte, publiée mi-octobre. Basée sur les réponses de 67 cadres dirigeants de la branche, elle relève qu’avec «la réouverture des pays, la lente reprise des voyages internationaux et la large incapacité des canaux numériques à reproduire l’expérience en magasin, les magasins traditionnels et les boutiques monomarques sont considérés comme les canaux de vente les plus importants pour les douze prochains mois». Si l’information se trouve en ligne, le contact avec les produits et les échanges en face-à-face restent primordiaux dans les parcours d’achat.

«Une fenêtre d’opportunité»

Faut-il voir également dans ces chantiers un signe de dynamisme commercial retrouvé pour la branche en ville de Genève? «Je ne peux pas vous dire s’il y a une corrélation», répond Alfonso Gomez, conseiller administratif chargé des Finances, de l’environnement et du logement. «Ces travaux sont peut-être plus probablement dus aux restrictions actuelles de voyages, et donc à une baisse de la clientèle touristique, ce qui aurait ouvert une fenêtre d’opportunité pour entreprendre des rénovations. Cela dit, que ce secteur procède à de tels investissements signifie qu’il a confiance dans la reprise et dans l’avenir, ce qui est bien entendu une très bonne nouvelle», poursuit-il.

Sophie Dubuis, présidente de Genève Tourisme et ancienne directrice de l’antenne genevoise du détaillant horloger Bucherer, relativise le rôle de la pandémie: «De tels projets ne s’organisent pas en six mois et font partie de stratégies de marques à long terme. De nombreux chantiers étaient déjà prévus avant la crise, et elle a sans doute compliqué leur réalisation. Les incertitudes et les risques de pénurie qui pèsent actuellement sur la construction ont aussi pu jouer un rôle d’accélérateur.»

Ces rénovations tombent en tous les cas «à point nommé» pour le commerce genevois, qui «doit maintenir ses lettres de noblesse» après avoir été très affecté par la crise, ajoute Vincent Subilia, directeur général de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève (CCIG) et député PLR au Grand Conseil

«Que ce secteur procède à de tels investissements signifie qu’il a confiance dans la reprise et dans l’avenir, ce qui est bien entendu une très bonne nouvelle» ALFONSO GOMEZ, CONSEILLER ADMINISTRATIF DE LA VILLE DE GENÈVE

genevois. «Ce qu’il faut espérer, et qui est critique, c’est que d’autres acteurs qui n’ont pas encore de boutiques monomarques à Genève franchissent le cap et viennent remplir les arcades disponibles», poursuit-il. La CCIG ne mène pas directement campagne pour attirer de nouvelles marques. Ce qui n’empêche pas son directeur d’être en contact avec une grande manufacture qui n’a pas encore de boutique à Genève: «J’endosse très volontiers le rôle d’ambassadeur et de facilitateur.»

Selon l’Office cantonal des statistiques (Ocstat), le canton de Genève comptait 131 arcades vacantes le 1er juin dernier, dont 76 en ville de Genève. A titre de comparaison, ces chiffres étaient de respectivement 56 et 37 en 2011. Des données à nuancer au regard du pic d’arcades vides atteint en 2017 (136 au niveau cantonal, 103 en ville de Genève).

Défis et incertitudes

Vincent Subilia identifie par ailleurs un triple défi à relever pour le commerce genevois: le franc fort renforcé par la proximité de la France, avec 100 kilomètres de frontières; la concurrence de la vente en ligne; et un manque de valorisation urbaine. «La rue du Rhône mérite mieux que son aménagement actuel et les efforts menés pour améliorer la situation sont insuffisants. Les autorités doivent se donner les moyens d’embellir le centre-ville», insiste Vincent Subilia. Interrogé à ce propos, le Département de l’aménagement de la ville de Genève n’avait pas répondu à nos questions au moment d’écrire ces lignes.

A cela s’ajoute une question qui animera les débats dans le canton ces prochaines semaines, à savoir l’extension des horaires d’ouverture des magasins. La loi en la matière, attaquée en référendum, sera tranchée dans les urnes le 28 novembre.

Reste à savoir si ces boutiques, nouvelles ou transformées, feront le plein de clients. Pour Genève Tourisme, la prudence reste de mise malgré les signes positifs des derniers mois: «Depuis juillet, nous sommes satisfaits par le niveau de nuitées par rapport à l’année dernière. Des congrès et rendez-vous internationaux ont pu se tenir et nous avons observé un retour des voyageurs en provenance d’Europe et du Moyen-Orient. Sur l’automne, c’est plus panaché, et on constate une reprise du tourisme asiatique en Europe. Mais tout peut changer très vite et nous ne pouvons pas faire de prévisions à long terme», conclut Sophie Dubuis.

Economie & Finance

fr-ch

2021-10-27T07:00:00.0000000Z

2021-10-27T07:00:00.0000000Z

https://letemps.pressreader.com/article/281694027989340

Le Temps SA