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Le monde du vin s’acharne-t-il contre Dominique Giroud?

GRÉGOIRE BAUR @GregBaur

Une décision du Ministère public fait des reproches importants à l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais. L’association, elle, doute toujours plus de la justice du canton, au point de demander la récusation de la procureure chargée du dossier

Les mots sont durs. Dans une décision, la procureure chargée de l’affaire Giroud fait des reproches importants à l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais (IVV). La remontrance est sévère. Et pose la question de savoir si le monde du vin valaisan se bat, corps et âme, pour faire condamner Dominique Giroud, sous le coup d’une instruction pour des pratiques vitivinicoles douteuses depuis quatre ans? Acharnement, ne cesse de répéter le camp de l’encaveur. Déni de justice, rétorque l’IVV, qui vient de demander la récusation de la procureure chargée du dossier, a appris Le Temps. Rembobinons.

De décisions en recours, le dossier de l’affaire Giroud ne cesse de se complexifier. Au fil des années, il est devenu une véritable pelote de laine, qu’il est difficile de démêler. D’un côté, le volet fiscal, pour lequel Dominique Giroud a été condamné, au total, à 600 jours-amendes avec sursis pour avoir soustrait un peu moins de 8 millions de francs de bénéfices aux contributions. De l’autre, il y a la partie vitivinicole, qui occupe toujours la justice aujourd’hui et qui fait suite à une plainte déposée, en mars 2015, par l’IVV. L’instruction ouverte, en novembre 2017, contre Dominique Giroud est toujours en cours, pour des infractions possiblement réalisées depuis 2010. Pour les faits antérieurs à cette date, elle a été classée, en avril 2020.

Cette décision, l’IVV ne peut l’accepter. D’autant plus qu’elle estime avoir des moyens de preuve nouveaux. Elle demande donc au Ministère public de se pencher à nouveau sur la partie du dossier concernant les faits potentiellement commis avant 2010. En mai dernier, la procureure Rahel Brühwiler rend une décision de non-reprise de la procédure préliminaire. Le document que l’IVV considérait comme un nouveau moyen de preuve n’en est pas un puisqu’il était déjà dans le dossier.

Echanges pointés du doigt

Dans sa prise de position, la magistrate n’est pas tendre avec l’interprofession. Elle pointe également du doigt l’attitude d’Yvan Aymon, le président de l’IVV, qui aurait «lourdement insisté» auprès d’un tiers «pour que ce dernier lui transmette un ou plusieurs documents pour les déposer dans la procédure». Elle se base sur des échanges entre les deux hommes, qu’elle retranscrit dans sa décision: «Ça devient urgent», «en attendant d’avoir les factures, il me faudrait juste un seul doc pour faire craquer un de ses lieutenants; t’aurais pas un contrat, un bulletin de livraison ou une commande?» ou encore «c’est vraiment important que je l’obtienne vite».

Pour Rahel Brühwiler, «ces moyens de preuve sont révélateurs de l’attitude de l’IVV dans cette procédure». Marc Comina, porte-parole de l’encaveur, abonde dans ce sens. Il voit dans la décision rendue par la procureure en mai «la preuve que, loin de défendre la profession, l’IVV s’acharne contre l’un de ses membres, par tous les moyens, y compris les plus malhonnêtes, pour l’affaiblir». Il ajoute: «Depuis des années, l’IVV et son président, Yvan Aymon, se répandent dans les médias pour déverser sur mon client les pires horreurs. Aujourd’hui, les masques tombent. Le Ministère public valaisan en personne les remet à l’ordre de manière très sèche en affirmant que leur «attitude» doit être «qualifiée d’inconvenante». Les membres de l’IVV doivent le savoir: leurs dirigeants se moquent de nos institutions.»

Avocat de l’IVV, Aba Neeman tombe des nues. Il découvre ces passages, lui qui n’avait reçu que deux des quatre considérants de la décision. Il précise, tout d’abord, que les échanges de messages évoqués par la procureure s’étendent sur deux ans et que les derniers SMS datent de 2017. L’homme de loi assure qu’Yvan Amyon ne savait pas que le document était déjà dans le dossier et qu’il pensait donc détenir une preuve de pratiques prétendument douteuses. Il craignait, par ailleurs, ne plus jamais pouvoir obtenir ce document, d’où ses messages.

Pour Aba Neeman il n’y a rien de plus normal que le désir de l’IVV de savoir ce qui s’est passé. Et pour l’heure, dit-il, l’interprofession «désespère de constater que les procédures liées à cette affaire s’éteignent les unes après les autres». Pour l’avocat, «il est donc heureux que quelqu’un essaie de faire avancer le dossier, car on a le désagréable sentiment, peut-être subjectif, que personne ne veut le faire avancer». De son côté, le Ministère public assure qu’il «entend poursuivre l’instruction pour escroquerie, gestion déloyale et faux dans les titres», tout en rappelant la présomption d’innocence de Dominique Giroud.

Rassurant, mais insuffisant pour Aba Neeman, qui estime que la procureure accumule les erreurs, citant une décision de non-entrée en matière prise en cours de procédure ou encore le fait de ne donner l’entier d’une décision qu’à une des parties. Pour l’homme de loi, trop c’est trop. Et en fin de semaine dernière, il a envoyé une demande de récusation de la procureure.

En janvier dernier, Yvan Aymon disait déjà dans Le Temps, au sujet de cette affaire, que «si dans un pays démocratique la justice n’est pas rendue, ce n’est plus un pays démocratique». L’IVV ne semble plus faire confiance à la justice du canton. Au point de douter des décisions et de l’impartialité de cette dernière. Mais la branche est-elle seulement capable d’imaginer que l’encaveur n’ait jamais outrepassé la loi en ce qui concerne ses pratiques vitivinicoles, lui qui ne cesse de clamer son innocence depuis des années et qui n’a jamais été condamné pour son travail en cave? «La volonté de l’interprofession est que Dominique Giroud soit jugé. Qu’il soit condamné ou acquitté est une autre question», esquive Aba Neeman.

Contactée, Rahel Brühwiler confirme le dépôt de la demande de récusation. Et d’ajouter que «s’agissant des griefs invoqués par l’IVV, le Ministère public, étant lié par les secrets de fonction et d’instruction, ne peut prendre position. Il incombera, le cas échéant, au Tribunal cantonal d’examiner si les griefs formulés par l’IVV sont fondés.» Pour Marc Comina, cette demande de récusation est un exemple de plus de l’acharnement contre son client. «Il s’agit d’une nouvelle manoeuvre désespérée de l’IVV pour donner un écho médiatique et faire durer une procédure qu’ils ont lamentablement perdue, le tout au mépris de nos institutions et dans le seul but de nuire à mon client.»

Au fil des années, le dossier est devenu une véritable pelote de laine, qu’il est difficile de démêler

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2021-10-27T07:00:00.0000000Z

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