Le Temps epaper

A Paris, le procès qui met en lumière la montée de l’antisémitisme en France

Tuée à Paris, l’octogénaire de confession juive est devenue un symbole. Le procès des meurtriers s’est ouvert mardi

RICHARD WERLY @LTwerly

Le 28 mars 2018, ils étaient des milliers dans les rues de Paris avec, entre leurs mains ou agrafé sur leur poitrine, le portrait d’une vieille dame jusque-là inconnue. Mireille Knoll était née en 1932. Partie avec sa mère au Portugal dix ans plus tard, juste avant la rafle du Vélodrome d’Hiver du 16 juillet 1942 – ordonnée par les nazis et commanditée par la police du régime de Vichy –, elle avait échappé à la déportation et aux camps de la mort. Une femme française anonyme, clouée, durant les dernières années de sa vie, par la maladie de Parkinson sur un fauteuil de son appartement parisien de l’avenue Philippe Auguste, dans le XIe arrondissement.

Jusqu’à ce 23 mars 2018 fatidique, lorsque deux hommes, Yacine Mihoub, 32 ans, et Alex Carrimbacus, 25 ans, pénètrent chez l’octogénaire «pour un plan thunes». Le premier est familier des lieux depuis l’enfance. Il connaissait bien la victime. Le corps de la retraitée est retrouvé le lendemain sur son lit médicalisé, lardé de 11 coups de couteau, en partie carbonisé.

C’est ce crime, dont le caractère antisémite a été retenu le 19 novembre 2020, que la Cour d’assises de Paris a commencé à juger mardi. Dans le box des accusés, outre les deux présumés tueurs, figure la mère de Yacine Mihoub, voisine de Mireille Knoll, jugée pour avoir dissimulé des pièces à conviction aux enquêteurs, dont le couteau utilisé pour tuer la retraitée. Mais pour beaucoup, c’est l’arrière-plan de cette affaire sordide qui doit être élucidé. Les deux hommes ont-ils, ou non, dépouillé puis tué leur victime parce qu’ils présumaient que sa confession rimait avec une fortune dissimulée? Peut-on dissocier cette affaire de la montée de l’antisémitisme et du radicalisme islamique, sachant que trois ans plus tôt, le 13 novembre 2015, la vague d’attentats la plus meurtrière de l’histoire de France récente submergeait le quartier, au Bataclan et dans plusieurs cafés et restaurants, à quelques rues de l’avenue Philippe Auguste?

Mireille Knoll apporte-t-elle la preuve par le pire qu’il faut ouvrir les yeux sur la réalité d’une France où les juifs sont les cibles d’une haine croissante? Le calendrier a son importance. Atteint au coeur par les attentats islamistes de 2015, le pays qui apprend, le 24 mars 2018, le meurtre de l’octogénaire a, ce jour-là, les yeux rivés sur un autre drame: la tuerie du supermarché de Trèbes (Aude) dans laquelle le lieutenant-colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame a trouvé la mort pour avoir échangé sa place avec une femme retenue en otage par Redouane Lakdim, un jeune délinquant franco-marocain ayant fait allégeance à l’Etat islamique, tué ensuite par la police. L’émotion est à son comble.

«Mireille Knoll a été assassinée parce qu’elle était juive», victime du même «obscurantisme barbare», assène Emmanuel Macron le jour même de la marche blanche organisée en mémoire de la vieille dame. Une accusation que les juges finiront par retenir deux ans plus tard, alors qu’une polémique entoure un autre meurtre d’une femme juive orthodoxe, Sarah Halimi, survenu en 2017, dont l’assassin, Kobili Traoré, a été déclaré irresponsable sur le plan pénal.

Et maintenant? «Elle était un peu devenue la grand-mère de tous les Français, a répété à l’ouverture du procès l’avocat de la famille Knoll, Gilles-William Goldnadel. Peut-on oublier que Yacine Mihoub, l’un des deux meurtriers qu’elle avait connu enfant, avait écrit «Vive les frères Kouachi et Coulibaly» sur les murs de sa prison, et qu’il allait sur les sites islamistes antisémites? On est sur ce terrain-là: un petit antisémitisme crapuleux.»

Rencontre à Fleury-Mérogis

Car tout, dans l’itinéraire de ce voisin devenu délinquant et de son partenaire, rencontré en détention à Fleury-Mérogis, dit ce qu’une grande majorité de Français redoutent, au moment où se poursuit le procès des attentats du 13 novembre: le mélange entre petite criminalité et haine religieuse, les ravages des clichés les plus affreux propagés sur les juifs, la perte de repères problématique dans une République déboussolée.

Lourd, très lourd fardeau pour une Cour d’assises qui doit juger les faits, au milieu des déclarations contradictoires des accusés. Et sur la base d’une ordonnance d’accusation en forme d’avertissement pour les jurés: «Il est particulièrement difficile de se fier aux seules déclarations des accusés, tant est relevée dans la procédure leur propension respective au mensonge.»

«On est sur ce terrain-là: un petit antisémitisme crapuleux»

GILLES-WILLIAM GOLDNADEL, AVOCAT DE LA FAMILLE KNOLL

La Une

fr-ch

2021-10-27T07:00:00.0000000Z

2021-10-27T07:00:00.0000000Z

https://letemps.pressreader.com/article/281616718578012

Le Temps SA