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La diplomatie d’Emmanuel Macron, premier bilan

FRANÇOIS NORDMANN La France dans le bouleversement du monde, par Michel Duclos, Editions L’Observatoire, 320 pages

A six mois des prochaines élections présidentielles françaises, le temps est venu de tirer le bilan de l’action d’Emmanuel Macron. Surgi du vide politique creusé par les «affaires» frappant le candidat des Républicains, François Fillon, et par le retrait du président sortant de charge, François Hollande, l’ancien ministre de l’Economie et des Finances paraissait novice en politique étrangère. Si, dès le début, il exprimait de solides convictions pro-européennes, il n’en imposait pas dans les autres dossiers diplomatiques. Sa volonté d’entretenir un dialogue privilégié avec l’Allemagne et de promouvoir la souveraineté européenne n’en était pas moins impressionnante. Il définira ce thème, et l’assortira de multiples propositions dans une série de discours tenus en 2017 notamment en Sorbonne, au lendemain des élections fédérales allemandes, à Athènes puis en 2018 à Aix-la-Chapelle où il recevra le Prix Charlemagne.

Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Suisse entre 2012 et 2014, qui est aujourd’hui rattaché à l’Institut Montaigne, a analysé la diplomatie d’Emmanuel Macron dans un essai très dense, au terme d’une véritable enquête. Il lui donne un cadre conceptuel et émet aussi une série de suggestions pour le second quinquennat, se fondant sur une perception aiguë de l’état du monde et de l’histoire récente des relations internationales.

Si les deux premières années du mandat d’Emmanuel Macron ont été celles des prolégomènes, le président français a mis à profit une conjoncture favorable (assauts de Donald Trump contre le multilatéralisme, qu’il réussira à dompter dans un premier temps), repli du Royaume-Uni en proie aux affres du Brexit, extrême prudence de la coalition allemande). Il exprime une vaste ambition, affine son jugement, s’engage en Afrique, dans le Sahel et jette des ponts vers la société civile et l’Afrique anglophone. Il est moins heureux dans la gestion des crises libyenne et syrienne – la Syrie a beaucoup compté dans la carrière de notre auteur. Son style très personnel, sa manie de faire cavalier seul et de réaliser des coups d’éclat dans un certain nombre de dossiers nuisent à ses efforts pour donner un nouveau souffle à la construction européenne. Ses ouvertures en direction du président Poutine, sa «bromance» initiale avec le président Trump, ses initiatives sur l’Iran (qui n’aboutiront guère) passent mal auprès de ses partenaires de l’UE, faute de concertation préalable. Et il s’inscrit dans la continuité de l’Europe-puissance, thème gaullo-mitterrandien s’il en est, même s’il lui donne une signification nouvelle en l’étendant au domaine de la technologie de pointe et de la politique industrielle.

La France, qui a perdu du poids économique, devrait renoncer à tout ce qui évoque la politique de grandeur de jadis

Michel Duclos considère à raison que l’année 2019 marque un tournant, avec le sommet du G7 de Biarritz auquel Macron associe indirectement Poutine et l’Iran, et trouve un terrain d’entente avec Trump. Mais son plus grand succès est d’avoir obtenu l’accord d’Angela Merkel et du cabinet allemand pour le grand plan de relance économique de l’UE, à coloration verte et numérique, et qui comporte une part de mutualisation de la dette. C’est une avancée majeure de la politique européenne prônée par Emmanuel Macron et une revanche sur la crise du covid qui a obéré son action. Sur un autre front, Macron a aussi raffermi la dimension indo-pacifique de la géopolitique française: l’auteur y voit une contribution à l’endiguement de la Chine. Il souhaite que la France sorte de l’ambiguïté stratégique où elle se complaît en flirtant avec l’idée d’une «troisième voie» entre Pékin et Washington, mais surtout qu’elle s’en tienne là-dessus à une ligne définie par l’UE. L’Europe et les Etats-Unis devraient mieux partager leurs responsabilités sur la scène mondiale. La France, qui a perdu du poids économique, devrait renoncer à tout ce qui évoque la politique de grandeur de jadis. Elle pourrait mieux assumer son rôle d’influente puissance moyenne en s’appropriant les secteurs qui façonnent le monde de demain: espace, haute technologie, biomédecine, énergie du futur, biodiversité et écologie notamment. ■

Débats

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2021-10-27T07:00:00.0000000Z

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