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«The French Dispatch», farandole enivrante

La sécurité est devenue centrale dans l’organisation des compétitions sportives. L’occasion d’introduire de nouvelles technologies, souvent sans limites ni cadre légal. Des observateurs dénoncent le phénomène

CLÉMENT LE FOLL ET CLÉMENT POURÉ

CINÉMA Paris dans le miroir de Wes Anderson. Le cinéaste raconte la Ville Lumière à travers trois grands reportages publiés par un fameux magazine new-yorkais. Où il est question de peinture, de Mai 68, de gastronomie, dans une étourdissante valse de références à Tati, Renoir, Godard et les autres…

Les Jeux olympiques d’hiver de 2022 à Pékin, du 4 au 20 février 2022, manqueront peut-être de neige mais pas de caméras de surveillance équipées de reconnaissance faciale. Ils pourraient même remporter la médaille d’or de la surenchère sécuritaire, une «compétition» non officielle observée depuis une vingtaine d’années à chaque olympiade.

Le Parlement européen a suggéré début août aux responsables de l’Union européenne et aux Etats membres de refuser les invitations à ces Jeux. Aux Etats-Unis, Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, a même appelé à un boycott diplomatique, pour protester contre la répression subie en Chine par la minorité musulmane ouïgoure, notamment surveillée par des caméras équipées de reconnaissance faciale. «La grande différence entre les Jeux d’été de Pékin en 2008 et ceux d’hiver en 2022, c’est qu’en 2008 Pékin a essayé de plaire au monde. Aujourd’hui, il ne se soucie pas vraiment de ce que le reste du monde en pense», estime Xu Guoqi, historien à l’Université de Hongkong, interrogé par Associated Press.

«Le 11-Septembre a changé la donne»

En 2008, Pascale Nivelle, journaliste pour Libération, vivait à Pékin depuis un an et demi. La correspondante suivait de l’intérieur la préparation des Jeux olympiques d’été. Une opération séduction dont l’organisation devait être parfaite. La Chine voulait montrer au monde entier une image moderne et tolérante, en accord avec les valeurs prônées par la compétition.

En coulisses, changement de décor. Certains militants, avocats ou pétitionnaires, connus pour s’impliquer dans la défense des droits civiques, étaient poussés à quitter la ville. D’autres étroitement pistés. «Derrière un apparent enthousiasme pour les Jeux, le gouvernement en a fait un instrument de surveillance. Il a réveillé des cellules dormantes, sorte de comités de quartier chargés de se surveiller les uns les autres», se souvient Pascale Nivelle.

Charlie Buffet, journaliste et réalisateur, lui aussi à Pékin lors des Jeux, décrit une ambiancepesante, hypocrite. Il rencontre durant cette période plusieurs opposants politiques. «Pékin s’est affranchi des règles du Comité international olympique (CIO) sur les questions des libertés et de la démocratie, confie-t-il. En théorie, les citoyens jouissaient du droit de manifester, mais les rassemblements étaient organisés par le gouvernement dans des parcs, où les manifestants étaient embarqués par la police.»

Sous prétexte de l’événement, le gouvernement chinois investit dans un système massif desurveillance technologique. Au début des épreuves, Pékin compte près de 300000 caméras. Mises en réseau, elles surveillent chaque rue, mais également les couloirs et rames de métro. «Le réseau de caméras permet de suivre quelqu’un sur 2 kilomètres», révélait à Sports Illustrated China Ma Xin, expert du Ministère de la sécurité publique.

«Pékin illustre comment les Jeux olympiques sont utilisés pour déployer des technologies de surveillance», commente Jules Boykoff au Temps. L’universitaire américain, auteur de Power Games. A Political History of the Olympics, rappelle que la compétition n’a pas toujours été aussi sécurisée. «Le 11-Septembre a changé la donne. A la suite de ça, 335 millions de dollars ont été consacrés à la sécurité des Jeux de Salt Lake City en 2002. C’est 1,5 fois supérieur au montant total dépensé pour les sept précédentes olympiades organisées sur le sol américain.»

La ville de l’Utah, dont les rues grouillent d’athlètes et de spectateurs, est alors scrutée par 12000 forces de l’ordre et des technologies de surveillance biométriques pour les athlètes et officiels. «C’est l’émergence d’une nouvelle norme qui est toujours en cours», poursuit Jules Boykoff.

En 2004, la Grèce, sous la pression des Américains encore traumatisés par le 11-Septembre, dépense 1,5 milliard de dollars pour la sécurité de ses Jeux. Un budget sept fois supérieur à ceux de Sydney en 2000. «Les Américains avaient particulièrement peur, car Athènes est un centre de passage entre Orient et Occident, analyse Jean-Loup Chappelet, professeur à l’Université de Lausanne. Certaines de leurs entreprises en ont profité pour faire leurs choux gras en vendant leurs technologies.»

Une sécurité dont la Grèce a payé le lourd tribut financier, mais pas seulement. En 2006, le pays apprend que les téléphones du premier ministre, Kostas Karamanlis, de sa famille, du maire d’Athènes et d’une centaine de membres du gouvernement et de fonctionnaires ont été écoutés sur le réseau Vodafone Greece d’août 2004, date du début des Jeux, à mars 2005. Après dix ans de travaux, l’enquête rassemble des preuves

«C’est un tremplin pour la militarisation de l’espace public» JULES BOYKOFF, UNIVERSITAIRE ET AUTEUR AMÉRICAIN

reliant ces écoutes à l’ambassade des Etats-Unis à Athènes.

«C’est un excellent exemple de ce qui se passe dans les villes hôtes des Jeux olympiques, analyse Jules Boykoff. Les forces de sécurité déploient des technologies qu’elles ne pourraient pas utiliser en temps normal. Mais elles perdurent ensuite après l’événement. C’est un tremplin pour la militarisation de l’espace public.»

La reconnaissance faciale est également au centre des discussions de sécurité des Jeux de Paris 2024. «Thales, Idemia, tous les industriels français qui proposent des technologies biométriques sont sur le qui-vive», confie un spécialiste du secteur. Un lobbying conduit par un regroupement d’industriels de la sécurité et de la défense, le Gicat, qui a en 2020 mené six actions d’influence auprès des parlementaires et membres du gouvernement français pour «transmettre des propositions pour la sécurisation des prochains Jeux 2024».

Expérimentations à Roland-Garros

Une impulsion qui paie. En 2020, le tournoi de tennis de Roland-Garros a été le théâtre de sept expérimentations d’algorithmes d’analyse d’image et notamment de reconnaissance faciale. Dans un rapport remis au premier ministre français Jean Castex, le député Jean-Michel Mis plaide pour une expérimentation de cette technologie lors des Jeux d’été 2024.

Parmi d’autres griefs, le collectif Saccage 2024 s’inquiète de la surveillance de la population et de l’usage de la reconnaissance faciale, technologie qui n’a aucun cadre légal en France et qui est critiquée pour ses biais racistes. «La présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés [l’organe de régulation d’internet en France] a déjà dit que la reconnaissance faciale était envisageable aux Jeux olympiques, pointe Natsuko Sasaki, porte-parole du collectif. C’est, je crois, un signe que cette technologie sera autorisée.»

A Los Angeles, le collectif NOlympics LA fédère déjà plusieurs milliers de personnes sur les réseaux sociaux. Composé de chercheurs, militants et citoyens, il s’inquiète que les Jeux d’été de 2028 soient exploités par la police de la ville pour accentuer son pouvoir de surveillance sur les citoyens. En 2010, la cité californienne avait été une des premières à utiliser PredPol, logiciel conçu dans le but de prédire les crimes grâce à l’intelligence artificielle. Une technologie qu’elle a abandonnée en avril 2020…

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2021-10-27T07:00:00.0000000Z

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