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Au hornuss, il suffit d’y croire

La finale de la Coupe de l’Emmental s’est tenue vendredi à Lyssach dans le canton de Berne. L’occasion de tenter de comprendre les règles de ce sport qui fait la fierté de la région

CAROLINE CHRISTINAZ, LYSSACH (BE) @Caroline_tinaz

A l’aide d’une lourde pelle métallique, l’homme creuse un trou dans la terre. Il y plante son pied droit et pose le gauche sur un tabouret incliné. Sur son front, des gouttes de sueur ruissellent. Son maillot colle par endroits sur son corps humide. Il souffle. Un coup, profond. Il inspire. Et tout en regardant dans le vide, là-bas, derrière les entrepôts où s’étendent les crêtes du Jura, il se contorsionne, coudes et menton levés vers le ciel.

Expiration. Un râle. Son corps pivote, ses épaules s’ouvrent, son ventre se contracte. Il plie la jambe gauche, enfonce la pointe du pied droit plus profond encore dans le sol et fouette l’air le plus fort possible. Au bout de la tige de carbone longue de 3 mètres qu’il tient entre ses deux mains, le «träf», un carré de bois de hêtre pressé et tourné percute le hornuss qui s’envole.

Communication cruciale

Au loin, des hommes ont crié «Eini!» d’abord. C’était pour annoncer que le tireur se préparait. Il doit toujours signaler qu’il est prêt en donnant un coup dans le vide. Et lorsqu’ils ont compris que l’envoi était imminent, ils ont crié «Jetzi!». C’est du moins ce qu’on croit comprendre. «C’est bien cela, confirme Bruno Ryser, le secrétaire de l’Association suisse de hornuss. Cela signifie «maintenant» et cela permet aux intercepteurs de se préparer à interrompre le vol du hornuss».

S’il faut que les intercepteurs soient avertis, c’est parce que derrière huit robustes collègues munis d’une palette, il est parfois impossible de distinguer les gestes des frappeurs de l’équipe adverse située 100 mètres plus loin. «Maintenant, avec le soleil couchant, ça rend le jeu encore plus compliqué.» Il est 18h30 et l’astre, dans son sprint final, teinte les Alpes bernoises d’orange avant de plonger derrière le Jura.

Ici, à Lyssach, les joueurs s’affrontent sur un long rectangle d’herbe qui longe la voie de chemin de fer ralliant Burgdorf à Kirchberg-Alchenflüh. Si le public réuni devant la Hornusserhaus – la cabane dans laquelle se trouve la réserve de bières et de Rivella – est silencieux, ce vendredi soir, c’est parce que c’est la Coupe de l’Emmental qui est en jeu. L’équipe du village reçoit celle de Gerlafingen-Zielebach pour disputer la finale en format neuf contre neuf.

400 francs pour les vainqueurs

Les vainqueurs se verront récompensés en cash par une enveloppe de 400 francs. «Depuis quelques années, les équipes ont demandé de remplacer les médailles par de l’argent. Cela leur permet de fêter directement leur victoire», suppose Bruno Ryser. Comme tous ses acolytes, il pratique le hornuss en amateur, à raison d’un match par semaine. La discipline ne compte aucun professionnel et l’entraînement se fait essentiellement en pratiquant.

Que font-ils donc pour être performants? «Certains vont au fitness afin de travailler leur ceinture abdominale. Mais en fin de compte, il faut surtout avoir de la force pour frapper.» Et pour en avoir, ce n’est pas compliqué: il faut allier masse et vitesse. «Si on n’est pas assez rapide, il faut être plus lourd», décrit le passionné. Et pour perfectionner sa frappe? «Chacun a sa propre méthode. Mais en réalité, il faut surtout y croire. Si tu te dis que tu vas réussir à frapper le hornuss, tu l’auras. Si tu doutes, tu le manques. Et si tu le manques, tu risques de le manquer encore parce que ton esprit a été perturbé par le premier échec.»

Il tend le menton vers un frappeur qui se prépare devant nous. Le colosse n’a que 17 ans. «Il est fort, lui, regardez, il parvient à concentrer toute son énergie jusqu’à la fin de la rotation», chuchote Bruno Ryser. Le fouet tournoie. Le träf glisse sur le bock fraîchement lubrifié au WD-40. «Tak!» Sans qu’on le voie, le hornuss a quitté terre. Au fond du terrain, les hommes esquissent un ballet en accordéon. Leurs palettes s’envolent et tournoient avant de s’écraser sur la pelouse. On entend des cris. Des injures? Des encouragements? «Le hornuss doit être intercepté le plus tôt possible, il faut être organisé. S’il touche le sol dans l’aire de jeu, l’équipe encaisse 1 point de pénalité. C’est ce qui décide de l’issue du jeu. Peu importe le nombre de points accumulés lors de la frappe.»

Mon regard doit trahir une certaine confusion car mon interlocuteur dégaine son téléphone. Grâce à une application installée il y a peu, le secrétaire suit la comptabilisation des points en direct. Il recommence son explication. «A partir du moment où le hornuss atteint les 100 mètres, le frappeur bénéficie d’1 point. Tous les 10 mètres supplémentaires parcourus par le hornuss offre 1 point de plus au frappeur. Là, il en a 23.» Fouetté par l’adolescent bernois en pleine croissance, le hornuss a donc volé à 330 mètres.

Depuis près d’une semaine, son sport est ébranlé par la suspension d’un joueur pour dopage à la testostérone. «Cela n’a rien à voir avec notre activité, commente le secrétaire de l’association nationale. Ce jeune homme prenait cela pour développer sa musculature dans la salle de fitness. Puisqu’il était détenteur d’une licence de hornuss, il a été suspendu par Swiss Olympic. Dans notre milieu, nous sommes bien éloignés de ce type de comportement.»

Le benjamin a… 4 ans

Son association compte quelque 6000 joueurs actifs et 1000 élèves. «Le plus jeune à avoir été licencié a 4 ans. Les plus anciens ont plus de 70 ans. Le hornuss est avant tout un sport social, qui nous réunit tous ensemble.» Autour de nous, les générations se mêlent les unes aux autres. Les régimes sportifs aussi: on fume des cigarettes et on boit de l’isostar. Lorsqu’un joueur frappe fort, les chuchotements s’intensifient, lorsqu’un autre positionne son pied de façon impie, les sourcils montent au ciel.

La nuit tombe, l’air se fait plus épais et un vent léger se lève. «Cela change la dynamique de vol du hornuss», relève Bruno Ryser alors qu’il suit des yeux l’engin volant qui nous est demeuré invisible durant tout le match. Mais soudain, un cri de joie. Les frappeurs de Gerlafingen-Zielebach ont épuisé leurs essais. Tous leurs hornuss ont été interceptés par l’équipe de Lyssach, qui remporte le match. On saute de joie et on profite des dernières lueurs pour tirer des portraits de groupes. Assis en rang, les joueurs cachent les cigarettes derrière leur dos et présentent leur plus beau sourire de l’année. Les bières se décapsulent. «Maintenant, c’est la deuxième partie du match qui commence», sourit Bruno Ryser.

«Certains vont au fitness afin de travailler leur ceinture abdominale. Mais en fin de compte, il faut surtout avoir de la force pour frapper» BRUNO RYSER, SECRÉTAIRE DE L’ASSOCIATION SUISSE DE HORNUSS

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2021-09-27T07:00:00.0000000Z

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