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Les sept mythes de la finance durable

JEAN NIKLAS CONSEILLER INDÉPENDANT

L’investissement respectueux des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) se développe très fortement. Cette progression s’accompagne pourtant d’idées reçues. Les espoirs et attentes méritent toutefois d’être excessifs.

Jean Niklas, conseiller indépendant, propose de revisiter certaines idées reçues au sujet de l’investissement durable avec un regard libre et extérieur à la branche

L’investissement respectueux des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) se développe très fortement. Cette progression s’accompagne pourtant d’idées reçues. Présentons ici les sept mythes de l’investissement durable:

1. La finance est responsable de l’état de la planète, et c’est elle qui peut résoudre le problème du réchauffement

C’est notre système économique, dont la finance est un des éléments, qui est responsable dans son ensemble. Pour résoudre le problème du réchauffement, la solution sera de tendre vers une économie circulaire. Elle tiendra compte du fait que les ressources sont limitées d’une part, et d’autre part que l’activité économique génère des impacts sur l’environnement. Elle introduira dès lors des mécanismes correctifs sous forme de taxes ou de subsides pour mitiger ces externalités. Tant que ces mécanismes ne sont pas mis en place, l’apport de la finance à la lutte contre le réchauffement ne sera que du greenwashing.

2. Si on arrêtait d’investir dans le pétrole, les sociétés pétrolières disparaîtraient

La demande pour le pétrole dépend des besoins des consommateurs. Penser qu’on peut l’influencer par le biais de son financement est une erreur de raisonnement. Tant que la demande existe, ces sociétés sont rentables, et donc elles trouvent du financement. Ce n’est qu’en faisant baisser la demande, notamment par des politiques et des mesures pour encourager la transition énergétique, qu’on rendra ces sociétés moins rentables pour les investisseurs, qui s’en désintéresseront.

3. Le désinvestissement des énergies fossiles par la BNS aurait un effet positif sur le climat

Si je suis propriétaire d’une voiture sans pot catalytique, est-ce que le fait de la vendre à quelqu’un d’autre a pour conséquence une amélioration du climat? Non, évidemment. De même, si la BNS vend ses titres liés à des producteurs d’énergie fossile, elle ne fait que se débarrasser du problème sans le résoudre. Le pétrole continue d’être produit et consommé. Et l’argument que «si tous les investisseurs vendent ces titres, alors leur cours boursier baissera, ce qui rendra ces placements inintéressants» est également inepte. La baisse des cours sera au contraire une excellente opportunité d’achat pour d’autres investisseurs, moins concernés par ces considérations climatiques. Ils achèteront ces actifs et profitent alors d’un meilleur rendement!

4. La décarbonation des portefeuilles a un effet positif sur le climat

Cette approche procède du même raisonnement que ci-dessus, donc cet effet direct n’existe pas. Par contre, on peut considérer qu’il existe un effet indirect. Les sociétés cotées devant publier des données relatives à leurs émissions sont incitées à prendre des mesures dans un but de réputation. Ces données permettent aux investisseurs de mieux comprendre les risques financiers liés au climat. On peut argumenter par là que le marché améliore son efficience.

5. L’investissement durable n’est que du «greenwashing»

Il y a deux domaines où l’investissement socialement responsable (ISR) peut réellement contribuer à la baisse des émissions de CO2: le vote aux assemblées générales et l’engagement actionnarial. Le vote est légalement la seule responsabilité de l’actionnaire, qui peut par là contribuer de façon démocratique à la prise en compte des facteurs durables dans la gestion de l’entreprise. L’engagement actionnarial consiste en un dialogue direct entre l’actionnaire et la société sur des questions de durabilité. Cette approche, en plein développement, se réalise désormais en rejoignant des groupements d’actionnaires comme Climate Action 100+. Bien menée, elle est clairement très impactante. Ces organisations ont récemment réussi à forcer des sociétés pétrolières à se fixer des objectifs de neutralité carbone. Et au contraire de l’exclusion, l’engagement nécessite de garder les titres en portefeuille puisque c’est la seule façon de pouvoir faire entendre sa voix.

6. La place financière suisse est un leader de la finance durable

Restons modestes: en matière de durabilité, la place financière suisse est un centre important dans certains marchés de niches, comme l’impact investing ou la microfinance, où elle compte parmi les plus gros acteurs. Pour le reste, c’est aujourd’hui l’Europe qui mène le bal, avec son plan pour verdir l’économie comportant un volet très important lié à la finance. L’enjeu est tel que la Suisse, malgré ses qualités et sa bonne volonté, ne pourra que s’adapter aux normes définies par d’autres. Par contre, nous sommes le seul pays qui oblige les caisses de pension à voter de façon systématique aux assemblées générales des sociétés détenues en portefeuille.

7. L’investissement ESG est une fantastique opportunité de croissance, de revenus et de marges additionnels pour les banques et les gestionnaires d’actifs

Pour résoudre le problème du réchauffement, la solution sera de tendre vers une économie circulaire

Si la BNS vend ses titres liés à des producteurs d’énergie fossile, elle ne fait que se débarrasser du problème sans le résoudre

Alors que la croissance des actifs gérés en intégrant les facteurs ESG est effectivement en plein boom, le marché de la gestion d’actifs croît en ligne avec sa moyenne. Parce que l’ESG cannibalise les actifs existants. En fait, les fonds traditionnels sont tous en train de devenir ESG. Et comme l’ESG devient mainstream, le temps où il permettait au gestionnaire de demander un prix plus élevé est révolu. De plus, il a un coût et n’est donc pas plus rentable que la gestion traditionnelle.

Lundi Finance

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2021-09-27T07:00:00.0000000Z

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