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Naissance d’une taxonomie sociale

L’Union européenne a mis en consultation un projet de taxonomie sociale qui précise les normes que les entreprises et les investisseurs devront respecter en matière d’inégalités salariales, de diversité et de chaîne d’approvisionnement

EMMANUEL GARESSUS. ZURICH @garessus

L’Union européenne introduit un langage commun, appelé taxonomie sociale, que les entreprises et les investisseurs devront respecter en matière d’inégalités salariales, de diversité et de chaîne d’approvisionnement.

L'investissement durable vise à respecter les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Mais le regard porte le plus souvent sur le premier des trois. L'aspect social est un peu le parent pauvre de la finance durable. La Commission européenne s'est préoccupé de la situation. Elle a défini la façon dont les entreprises et les investisseurs devront se comporter pour respecter les critères sociaux.

Après la partie environnementale de la taxonomie, présentée en 2017 et qui sera mise en oeuvre entre 2022 et 2024, voici l'heure sociale. Le projet est en effet appelé taxonomie sociale et il a été mis en consultation en juillet dernier. Les résultats de cette dernière sont attendus à la fin de l'année.

Le progrès social est ici défini comme ce qui contribue positivement à la société sous deux formes, soit celle des activités (éducation, par exemple), soit celle des pratiques sociales. La définition s'appuie sur les normes internationales, comme les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies ou les textes fondamentaux de l'Organisation internationale du travail (OIT). La tâche s'avère complexe. «Le but est d'offrir un langage réglementaire commun, en respectant les cultures locales», selon Jean-Philippe Desmartin, directeur de l'investissement responsable auprès d'Edmond de Rothschild Asset Management.

Dimension sociale «négligée

La dimension sociale a «certainement été un peu négligée ces dernières années si bien qu'il y a aujourd'hui une nécessité de prendre davantage en compte les questions sociales dans les décisions d'investissement», indique Vincent Kaufmann, directeur de la Fondation Ethos. D'autant plus, à son avis, que «les questions liées au droit du travail, aux droits sociaux, aux droits de l'homme et au travail des enfants représentent des enjeux majeurs pour les entreprises et par conséquent pour leurs actionnaires».

Avec la taxonomie rouge, le principe vert consistant à ne pas nuire à l'environnement trouve son pendant social. Il s'agit par exemple de bannir ou non, des entreprises qui offrent des pratiques dangereuses pour la société.

La réglementation sociale tente de répondre aux problèmes rencontrés par la taxonomie verte. Cette dernière «est très technique et, avec ses 445 pages, et très complexe», regrette l'expert. La taxonomie verte est si sélective que seuls environ 3 à 5% de l'économie satisfont ses critères. «Ce choix, qui plaît certes aux ONG environnementalistes, n'intègre pas la notion de transition climatique, laquelle intégrerait un tiers supplémentaire de l'économie», note Jean-Philippe Desmartin.

L’UE, un paquebot difficile à arrêter

A ce stade, il n'est pas prévu de sanctionner les entreprises qui ne respecteraient pas la taxonomie sociale, selon notre interlocuteur.

D'ailleurs, la mise en oeuvre du projet attendra au moins deux ans.

«La réglementation mettra du temps à se mettre en place. L'UE est un paquebot qui démarre lentement mais qu'il est difficile à freiner une fois qu'il a atteint son rythme de croisière et qui amène les autres pays à s'adapter», selon Jean-Philippe Desmartin.

Les entreprises et investisseurs non européens seront mécaniquement concernés. Il faudra toutefois que les informations sociales soient pertinentes. Les craintes d'une utilisation commerciale excessive sont bien présentes. «Après le greenwashing, on risque le rainbow-washing (arc-en-ciel), comprenant le vert de l'environnement, le rouge du social et le bleu de la gouvernance», selon Jean-Philippe Desmartin.

Le développement est toutefois pragmatique et positif, à son avis. Les entreprises informent sur leurs pratiques. Les investisseurs se positionnent en conséquence.

Et ensuite, toutes les parties prenantes, des médias aux ONG en passant par les clients et les salariés, peuvent se positionner et demander de rendre des comptes. La dynamique est positive et constructive.

Le pendant social de la transition climatique s'appelle la «transition juste». Les deux vont de pair: le respect de l'environnement ne peut avancer sans progrès social.

«La fermeture de mines de charbon polluantes pose le problème de la reconversion sociale et économique de milliers de travailleurs et des territoires qui les accueillent», précise Jean-Philippe Desmartin. Les critères ESG doivent donc être appréciés dans leur globalité et non pas uniquement à travers le prisme des 3 à 5% de l'économie que représente la taxonomie verte actuelle de l'UE, ajoute-t-il.

Les rapports sociaux fourniront des renseignements sur la diversité au sein des entreprises, sur les inégalités salariales, la chaîne d'approvisionnement ainsi que sur la formation des employés.

Les cultures étant différentes entre l'UE et la Chine, les régulateurs s'appuient sur le concept de développement durable contenu dans les ODD des Nations unies. L'UE en fait d'ailleurs référence. Mais la Chine préfère parler de développement «harmonieux», lequel n'intègre pas le respect des droits humains.

Le risque est celui de «bâtir une tour de Babel ESG. Mieux vaut une régulation simple mais efficace pour fédérer les investisseurs que de cuisiner un millefeuille trop épais et indigeste», ajoute-t-il. L'idée consisterait à simplifier sans abandonner ses convictions. Le degré de précision des contraintes reste incertain. La taxonomie est une grille de lecture. Chacun se positionnera par rapport à cela durant la phase de consultation.

«Aujourd'hui, nous avons décidé une liste d'exclusion comprenant les armes controversées, le tabac et le charbon thermique» indique Jean-Philippe Desmartin. En matière sociale, un indicateur de diversité utilisé pour mesurer la réduction du «plafond de verre» est celui du pourcentage de femmes dans les comités exécutifs avec un seuil discriminant (30%).

Les entreprises donneront les informations sociales voulues et les investisseurs préciseront la façon dont ils s'engagent sur ces sujets. «Nous avons un fonds «capital humain» qui investit dans les entreprises qui forment bien leurs salariés, avec des conditions de travail décentes, et qui protègent bien les employés. Nous prenons en compte des indicateurs de taxonomie sociale de meilleure qualité que d'autres fonds», déclare Jean-Philippe Desmartin.

L’impact du Covid-19

Le covid a remis au centre beaucoup de sujets sociaux, comme celui des inégalités et des chaînes d'approvisionnement, ainsi que ceux de la santé publique. La pandémie a accru la prise de conscience sociale et renforcé le besoin d'investissements vers des solutions sociales. Avec le projet de l'UE, un rééquilibrage vers le social est en cours.

L'UE s'est engagée à faire de la finance durable une composante importante de l'industrie financière européenne. L'Europe veut peser sur la régulation financière et se placer à la pointe du combat contre le changement climatique et, avec la taxonomie sociale, pour une transition «juste».

«Mieux vaut une régulation simple mais efficace pour fédérer les investisseurs que de cuisiner un millefeuille trop épais et indigeste» JEAN-PHILIPPE DESMARTIN, DIRECTEUR DE L’INVESTISSEMENT RESPONSABLE AUPRÈS D’EDMOND DE ROTHSCHILD AM

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2021-09-27T07:00:00.0000000Z

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