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Contre le «greenwashing», les défis et les promesses de la finance durable

La Finma contrôle dorénavant que les produits financiers présentés comme bons pour l’environnement ou la société le sont véritablement. La chasse aux appellations trompeuses et aux promesses basées sur du vent est lancée

SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Les banques et les gérants de fonds devront-ils bientôt prouver que les produits qu’ils présentent comme durables le sont effectivement? En Allemagne et aux EtatsUnis, le gérant d’actifs DWS fait l’objet d’une enquête depuis fin août, pour déterminer s’il a exagéré le côté vertueux de ses placements. Cet épisode avait été vécu comme un avertissement à toute la communauté financière, régulièrement soupçonnée de greenwashing. En Suisse, la Finma s’intéresse maintenant à la communication faite autour des produits financiers et procède à des inspections, afin de lutter contre la publicité mensongère à connotation verdisante.

Appellations trompeuses. Promesses basées sur du vent. Méthodes de calcul d’économies de CO2 incompréhensibles. La Finma a identifié tout une série de stratagèmes plus ou moins grossiers que les intermédiaires financiers utilisent pour présenter sous un jour favorable leurs produits estampillés verts. L’Autorité de surveillance des marchés passe dorénavant au crible les prospectus qui décrivent la stratégie et le fonctionnement des fonds de placement disponibles en Suisse, a-telle confirmé au Temps.

Comme d’autres régulateurs internationaux, la Finma a décidé de mettre de l’ordre dans cette jungle de la finance verte. Ce n’est pas forcément chose aisée, reconnaît le surveillant des marchés, puisqu’il n’existe pas de définition juridique de l’écoblanchiment. Autre difficulté, ce que l’on entend généralement par «vert», «durable» ou «ESG» varie d’un interlocuteur à l’autre. La Finma s’appuie notamment sur des lois existantes visant à protéger l’investisseur contre la confusion ou la tromperie – qu’elle soit présentée comme bonne pour l’environnement ou pas. En cas d’affirmations erronées, les prospectus doivent être corrigés après examen de la Finma, qui ne précise pas combien de contrôles elle a effectués ni depuis quand.

«Le «greenwashing» prend une telle ampleur…»

Président de Sustainable Finance Geneva, Fabio Sofia voit cette initiative d’un très bon oeil: «Le greenwashing prend une telle ampleur qu’il est absolument justifié que la Finma procède à ces vérifications.» Pour ce pionnier du durable, qui est également consultant, «une information plus claire et véridique sur les produits financiers responsabilise tous les

On devrait pouvoir mesurer les effets sur les grandes problématiques environnementales ou sociales, au lieu de se contenter de cocher des cases STUART DUNBAR, ASSOCIÉ CHEZ BAILLIE GIFFORD

acteurs: les clients, qui doivent savoir ce qu’ils achètent, et les intermédiaires financiers, qui ont tout intérêt à ce que l’investisseur ne soit pas déçu. En fin de compte, il s’agit de rappeler leur responsabilité de base aux banques et aux gérants de fonds.»

Faut-il sanctionner les coupables d’écoblanchiment? «Dans des cas d’abus flagrants des termes de l’ESG, oui, mais il est difficile de décider quels critères appliquer pour déterminer si cet abus est manifeste», répond Stuart Dunbar, associé chez Baillie Gifford, une société de gestion écossaise spécialisée dans les investissements de croissance à long terme. Véritable enjeu, selon lui: définir un ensemble d’éléments que les intermédiaires financiers doivent communiquer, pour déterminer qui est coupable d’écoblanchiment.

Aux Etats-Unis, le surveillant de la sphère financière, la SEC, a lancé un chantier de ce type, d’après son directeur, Gary Gensler, selon le Wall Street Journal du 1er septembre. En Suisse, le Secrétariat d’Etat aux questions financières (SIF) doit fournir des recommandations pour lutter contre le greenwashing durant l’automne, en collaboration avec la Finma.

Objectif de durabilité contraignant

En vigueur depuis le 10 mars, le règlement européen SFDR impose de nouvelles exigences de publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers. «On ne sait pas encore si le SFDR se révélera efficace pour lutter contre le greenwashing. A l’heure actuelle, environ 25% des fonds européens sont conformes à l’article 8 ou à l’article 9 du SFDR. Mais, pour être reconnu comme un produit ESG au sens de l’article 8, un fonds peut simplement reproduire un indice et investir moins dans les entreprises les moins vertueuses», précise le spécialiste de Baillie Gifford, qui se focalise sur les questions de bonne gouvernance.

Pour relever de l’article 8, un fonds doit avoir un objectif de durabilité contraignant, par exemple s’engager à financer des entreprises émettant moins de carbone qu’un indice de référence, en plus de son objectif d’investissement. L’article 9 mentionne que le produit financier a un objectif d’investissement durable.

«Il faut que les gérants aient des objectifs d’investissement contraignants et surtout qu’on puisse mesurer les effets d’une stratégie sur les grandes problématiques environnementales ou sociales, au lieu de se contenter de cocher des cases et de regarder si une société possède une charte sur l’égalité, par exemple. L’ESG peut difficilement être réduit à des éléments de mesures aussi basiques.»

Finalement, avec ces contrôles de la Finma, est-ce qu’il suffira aux intermédiaires financiers de ne pas exagérer sur le côté durable pour être en règle? Les exigences sur la communication liée au fonds évoluent en permanence et varient selon les pays, relève Ricardo Payro, spécialiste de la communication financière à Genève: «Avec le SFDR, les fonds luxembourgeois ont dû se positionner pour déterminer leur degré de durabilité, parfois avec un reporting régulier et détaillé sur les aspects ESG, mais certains pays – la France en particulier – veulent maintenant éviter que les informations sur la durabilité l’emportent sur les données financières, comme la performance du fonds, et exigent un équilibre entre ces deux sources de données.»

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2021-09-27T07:00:00.0000000Z

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