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«En ouvrant le mariage, on le débarrasse un peu plus de son bagage patriarcal»

Professeure à l’Université de Genève et spécialiste du droit de la famille, Michelle Cottier esquisse les futurs débats qui se profilent en Suisse autour de la famille

Comment interprétez-vous le large oui au mariage pour tous? Pour les couples de même sexe et leurs familles, ce résultat net signifie une reconnaissance de leur réalité, de leurs liens familiaux. C’est un pas important pour être accepté et ne plus se sentir déclassé, dans une position de différence. Nous quittons définitivement une logique qui considérait ces relations comme anormales, voire pathologiques.

Quel impact aura ce vote sur le droit de la famille, votre domaine d’expertise? Le travail des tribunaux sera simplifié car on n’aura plus qu’un droit matrimonial au lieu de deux, avec le partenariat enregistré. Surtout, du point de vue des personnes concernées, il y aura davantage de sécurité pour les enfants issus de dons de sperme en Suisse et nés au sein de couples de femmes de même sexe: avec la présomption légale de parentalité, le lien de filiation entre l’enfant et l’épouse de la gestatrice sera reconnu dès la naissance.

Quels sont les prochains débats à mener en Suisse concernant la famille? Le mariage pour tous représente un premier pas vers un droit de la famille plus neutre en termes de sexe, de genre et d’orientation sexuelle. Le prochain grand débat de société concerne la filiation. Il concerne les enfants, toujours plus nombreux, qui naissent hors mariage et sont actuellement moins bien protégés que ceux qui voient le jour au sein d’un couple marié. On se posera la question de la filiation dans les couples de même sexe hors du champ d’application de la nouvelle loi: lors de dons de sperme réalisés hors de Suisse, ou dans le cadre privé. Mais aussi du statut des personnes transgenres et intersexes qui deviennent parents. Enfin, nous allons probablement, à l’avenir, ouvrir une discussion sur la possibilité de reconnaître plus que deux parents au sein d’une même famille.

Que signifie l’adoption du mariage pour tous du point de vue historique, dans l’évolution de la famille en Suisse? Cette décision représente une réinterprétation du mariage. En l’ouvrant aux couples de même sexe, on dissocie l’institution du mariage de son bagage patriarcal, historique: le Code civil de 1912 ancrait des rôles différenciés entre le mari, pourvoyeur de la famille, et la femme, responsable des tâches ménagères. Cet ordre de la famille inégalitaire a persisté jusqu’en 1988 et l’entrée en vigueur du nouveau droit matrimonial. Ce dernier considère les époux comme des partenaires et reconnaît les deux contributions – financières et sous forme de travail de soins – comme équivalentes. Or cela n’a pas suffi à bouleverser la répartition des rôles entre hommes et femmes dans la réalité sociale. Cette nouvelle ouverture permet de se rapprocher davantage d’une vision plus égalitaire du mariage.

A quoi ressemblera la famille demain? La famille évolue vers davantage de libéralisme et s’affranchit des normes qui l’ont longtemps définie. On revient de loin: par le passé, l’Etat se donnait pour tâche de contrôler la

MICHELLE COTTIER

«C’est un premier pas vers un droit de la famille plus neutre»

Votations Fédérales

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2021-09-27T07:00:00.0000000Z

2021-09-27T07:00:00.0000000Z

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