LES CONTOURS DE NOTRE INCERTAINE HUMANITÉ

Thierry Hoquet livre une enquête philosophique sur la fragilité ontologique de notre espèce, à l’ère des postet transhumanisme

◗ «Etre humain n'est jamais donné une fois pour toutes: c'est une condition précaire, instable, frappée au sceau de la contingence.» Tel est le credo qui guide le chercheur Thierry Hoquet dans sa belle enquête philosophique sur ce qu'il appelle «les presque humains», ces figures qui, sans être tout à fait humaines, ne sont pas non plus tout à fait autres, ébranlant à chaque fois nos certitudes les mieux ancrées sur ce qu'est, précisément, l'humain. Thème anthropologique majeur, qui a toujours hanté la science, la philosophie, les arts.

L'être humain n'est pas une essence, mais un devenir; ce que Sartre disait de l'individu, sans doute Thierry Hoquet le transpose-t-il à l'espèce. Il n'empêche:

Hoquet

Les presque humains. Mutants, cyborgs, robots, zombies… et nous Seuil 382 même si l'homme n'est qu'un espoir, une prétention, une promesse, même s'il ne se définit pas par une nature mais par des normes, cette fragilité qui le constitue se trouve toujours doublement menacée: une fois par le bas, pourrait-on dire, en régressant à l'animalité biologique, et une fois par le haut, à travers toutes les figures du surhomme, des super-héros, des mutants ou des cyborgs, ces hybrides homme-machine dont les trans- et les posthumanistes jugent l'avènement inéluctable. En mettant en question l'humain tel que nous le comprenons, toutes ces figures du presque humain obligent à le redéfinir.

BULLE SANS FENÊTRE

Même si les conclusions anti-essentialistes de Thierry Hoquet restent somme toute convenues, son ouvrage constitue néanmoins un excellent point d'appui pour une réflexion sur cette question majeure – qu'est-ce que l'Homme? – qu'il aborde ici de manière fragmentaire (ses références philosophiques et sa bibliographie sont très sélectives, voire lacunaires), mais originale. Il faut mettre à son actif quelques belles trouvailles, comme celle de définir les humains comme des «équipés», c'est-à-dire se donnant par nature des prolongements de leur être biologique à travers les outils et le langage.

TYPOLOGIE AUDACIEUSE

Il y en a d'autres, disséminées tout au long des quelque 400 pages du livre, comme ce parallèle entre le nomadisme que permet le téléphone portable et le «monadisme» qu'il engendre, à savoir l'enfermement de chacun dans sa bulle sans fenêtre. On appréciera aussi au passage sa manière synthétique de cerner la différence entre les trans- et les posthumanistes: «Si le transhumain s'emploie à sa propre modification ou dénaturalisation, pratique l'autoévolution ou l'autotransformisme, le posthumain vise à se détacher de son propre corps.» Le premier optimise donc le corps que l'évolution nous a donné, le second s'en déleste. Du point de vue anthropologique, c'est très bien vu.

Mais on retiendra surtout cette tentative étonnante et ingénieuse, qui occupe toute la deuxième partie du livre, d'établir une «typologie des presque-humains» d'où ressort un tableau à 12 catégories, un peu présomptueusement calquées sur celles que Kant avait établies dans ce chefd'oeuvre de l'esprit humain qu'est la Critique de la raison pure. C'est un peu comme si votre architecte d'intérieur voulait imiter la cathédrale de Chartres, mais passons.

L'essai est néanmoins suggestif et stimulant, surtout qu'il est tempéré, une fois la tâche remplie, par cet aveu d'humilité: «Il importe à présent de recourir au tableau comme à un carcan qui craque de tout côté», ce qu'il fait exemples cinématographiques et littéraires à l'appui. Eh oui, les typologies sont faites pour être démenties, et ne peuvent servir que de guide approximatif et temporaire. Mais elles ont le mérite d'exister, même si elles satisfont intellectuellement avant tout ceux qui les établissent.

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