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«THE KING», UN «PEAKY BLINDERS» POLONAIS

VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_nb

Une lutte de gangs sur fond d'entre-deuxguerres: la nouvelle série polonaise de Canal+ fait furieusement penser à sa cousine britannique. Immersion à Varsovie, où la mafia juive se croit intouchable

◗ On la surnommait à l’époque le «Paris de l’Est». Et pour cause: en 1937, Varsovie arbore de nouveaux quartiers, des façades cossues, un mode de vie à l’occidentale. Et de profondes divisions. En particulier celles qui opposent le Parti socialiste polonais (PPS) et le Camp national-radical (ONR), mouvement d’extrême droite inspiré par les fascistes italiens. Dans la capitale, ils se disputent les rênes du pouvoir. Une rivalité que The King illustre, dès les premières minutes, on ne peut plus clairement: au milieu d’un carrefour étrangement désert, les deux factions se font face, rangs serrés, banderoles au vent et regards mauvais. Avant d’en venir aux mains et au sang, évidemment.

Dans ce bras de fer, un loubard a visiblement l’avantage: Jan Kaplica, ancien combattant juif lors de l’indépendance polonaise devenu grand patron du PPS. On le découvre en chapeau melon, moustache à la Hercule Poireau, foulard en soie et grosse voiture, quand il ne déguste pas un homard – on est loin de l’attirail du parfait syndicaliste. C’est parce que Kaplica, dit «Tonton», est le chef d’une organisation qui, tout en déclarant la guerre au fascisme et à la bourgeoisie, a la fâcheuse tendance d’exploiter les petites gens des quartiers nord. Une mafia, au sens premier du terme: rampante, impitoyable et impunie. A la fin de l’affrontement du carrefour, Kaplica est embarqué par les policiers mais aussitôt relâché sous ordres du premier ministre, un «vieux camarade».

C’est cette figure double que s’attache à suivre The King (Król, en version originale). Réalisée par Jan P. Matuszynski (dont le premier long métrage, The Last Family, a été récompensé à Locarno en 2016) et produite par le Studio Canal polonais, la série plonge dans les bas-fonds de Varsovie et les rangs du PPS, où Kaplica a su s’entourer. Il y a Radziwiłek dit «le Docteur», archétype du truand sanguinaire, mais surtout Jakub Szapiro, boxeur séduisant et populaire devenu bras droit du chef. Et candidat prometteur à sa succession.

SOIF DE POUVOIR

Basé sur un roman de l’auteur Szczepan Twardoch, d’ailleurs récompensé par le Prix du livre européen 2021, The King dépeint une page de l’histoire polonaise peu mise à l’écran: les forces mouvantes de l’entre-deux-guerres, l’extrême droite qui, dans le sillage nazi, progresse. L’antisémitisme, en particulier, qui voit les nationalistes de l’ONR cueillir les Juifs à l’entrée de l’Université de Varsovie pour les rouer de coups – des quotas y seront appliqués dès 1937. Quant aux hautes sphères du pouvoir, elles songent à les envoyer par milliers à Madagascar, un plan qui fera des émules en Allemagne…

Mais soyons clairs, The King est un show moins historico-politique que mafioso: trafics, passages à tabac, coups bas, les personnages sont prêts à tout pour assouvir leur soif de pouvoir. On pense alors forcément à Peaky Blinders, ses gangsters impitoyables et sa Birmingham fumante post-Première Guerre mondiale.

Comme le carton britannique, The King table sur le cocktail, explosif, de sexe, violence et patine cinématographique propre aux séries à gros budgets. Mais sans l’antagoniste clé qu’est Campbell, cet inspecteur irlandais envoyé par Churchill pour récupérer un précieux butin intercepté par le gang. Parfait mélange d’esprit amoral et vengeur, il instaurait dans les premières saisons un jeu, jouissif, du chat et de la souris.

MODÈLE D’AMBIGUÏTÉ

Des manigances et de la corruption, il y en a aussi dans The King, dont un projet de coup d’Etat menaçant les affaires de Kaplica. Ce sont plutôt les personnages qui manquent de substance. Le Docteur semble ricaner en permanence à l’idée de torturer sa prochaine victime; Moyshe Bernsztajn, jeune Juif dont le père a été égorgé par Szapiro, devient le protégé du boxeur en troquant ses papillotes pour des costumes cintrés le plus naturellement du monde. Les figures féminines, en particulier, n’ont que peu de relief, si ce n’est peut-être Ryfka, la propriétaire d’une maison close devenue femme d’influence dans la Varsovie d’en bas. Reste Jakub Szapiro, modèle d’ambiguïté entre loyauté et ambition dévorante, fierté et principes – le genre de crapule trop humaine pour qu’on la déteste…

En attendant la sixième saison de Peaky Blinders, prévue en début d’année puis repoussée pour causes pandémiques, les amateurs de costumes soignés, de rues brumeuses et de guerres intestines pourront patienter avec The King. Qui applique consciencieusement la recette mafieuse, sans relever la sauce.

«The King», 8 épisodes de 50' sur Canal+ dès le 2 août

La série dépeint une page de l’histoire polonaise rarement mise à l’écran

Écrans

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2021-07-31T07:00:00.0000000Z

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