Le Temps epaper

«ON N’A PAS FAIT CE FILM POUR TWITTER»

◗ Tour à tour chroniqueur, auteur dramatique, comédien, provocateur, trublion, empêcheur de ronronner, digne fils de son père Guy, écrivain et dandy, Nicolas Bedos est passé derrière la caméra avec

Monsieur et Madame Adelman (2017) et La Belle Epoque (2019), deux films qui ont connu le succès. Succédant à Michel Hazanavicius, qui a fait OSS 117: Le Caire,

nid d’espions (2006) et OSS 117:

Rio ne répond plus (2009), il signe le nouvel épisode des navrants exploits de l’illustre agent tricolore. Rencontre sous le soleil de mai.

Comment se glisse-t-on dans les

souliers de Michel Hazanavicius? On ne se glisse surtout pas dans les souliers de Michel Hazanavicius! On se glisse dans les souliers des années 1980 et d’un scénario qui nous fait rire. J’ai vu l’occasion de relever un défi. L’époque où se situe l’intrigue m’offrait l’occasion de faire une mise en scène très inspirée par les années 1980, donc un cinéma qui n’a rien à voir avec la mise en scène que parodiait Michel Hazanavicius dans les deux premiers.

Vous avez revu des films des années

1980? Oui. Il se trouve que ce sont les premiers films qui m’aient réjoui, les gros films de divertissement des années 1980, John Badham, Zemeckis, Spielberg,

Lucas… Ça m’a vachement intéressé d’essayer de comprendre pourquoi j’avais aimé ça. De m’interroger sur le cinéma du plaisir, de l’aventure.

Vous avez revu des «James Bond»?

Il n’y a que la séquence générique qui s’y réfère, car les James Bond de ces années-là étaient réalisés de façon très hasardeuse. Spielberg travaille davantage ses mouvements de caméra et son découpage que les tâcherons qui ont fait les films avec Roger Moore.

L’action se situe en 1980. Pourquoi

cette date? C’est un choix très judicieux du scénariste Jean-François Halin. Car OSS-Hubert est menacé de toutes parts. Par une nouvelle recrue, par l’arrivée de Mitterrand, par un changement de logiciel. C’est un homme dépassé, un vieux con ringardisé par le basculement sociétal et culturel des années 1980.

Vos films se réfèrent souvent à un passé antérieur à votre naissance. Avez-vous une nostalgie des temps

que vous n’avez pas connus? Je ne suis pas toujours nostalgique, mais souvent attiré par le dépaysement que représente le passé. Le passé nous oblige à faire du Cinéma avec un grand C. C’est-àdire fabriquer des costumes, des décors qui n’existent plus. Il est vrai qu’avec ma compagne, quand on cherche un film à mater, on se dirige souvent vers des films d’époque. C’est une manière d’oublier le réel, le quotidien. Je ne suis peut-être pas le plus heureux des hommes dans le monde actuel…

«La Belle Epoque» se déroule en mai 1974, au moment de l’élection de Giscard d’Estaing. Dans «OSS», Giscard revient à l’accordéon. C’est une

figure qui vous hante? Je n’ai pas d’acrimonie envers Giscard – contrairement à mon père qui avait ses raisons, car il avait très concrètement été censuré sous Giscard à la télévision. Non, ce n’est pas une obsession. J’adore filmer le souffle libertaire qui passe sur les années 1970-1980. Je n’aime pas tout dans ces années-là, la preuve avec OSS, un connard qui dit des horreurs. C’est aussi l’époque de la rencontre de mes parents. Il doit y avoir un truc un peu inconscient.

Ce troisième «OSS» est-il plus politique que les deux premiers? Ni plus, ni moins. Il l’est à sa manière, dans les limites d’une comédie extrêmement légère. C’est un film d’abord fait pour donner du plaisir aux gens. C’était quasiment mon seul objectif. Il est peut-être un petit peu plus politique car il aborde plus de sujets. Les précédents se concentraient principalement sur la xénophobie. Celui-ci aborde aussi le rapport aux femmes, à l’homosexualité. Le politiquement correct, aussi. Jean-François Halin a défini une forme de prudence hypocrite chez Hubert, qui fait semblant de faire attention à tout. C’est assez marrant de le voir se vautrer dans le faux antiracisme.

Le ressort comique du film repose principalement sur le sexisme et le racisme: un truc à vous prendre des coups en des temps où la confusion

règne… Ça n’est plus mon histoire. A partir du moment où l’on a réfléchi à la portée de chaque réplique, on a fait notre travail: on est dans la satire évidente. Je ne pousserai pas l’indignité vis-à-vis de moi-même en affrontant des arguments de mauvaise foi. On fait le film pour ceux qui comprennent, par pour Twitter.

Craignez-vous que la pensée politiquement correcte fasse peser des menaces sur la liberté d’expression?

Il n’y a pas de menaces pesant sur la liberté d’expression, juste des tombereaux d’insultes sur les réseaux sociaux. Jusqu’à preuve du contraire, je peux m’exprimer, quitte à déclencher des polémiques, des scandales, des messages d’insulte, des menaces de mort… Je vis à la fois dans la gratification de ceux qui m’apprécient et dans le harcèlement de ceux qui me détestent. Ce n’est pas la liberté de faire qui pour l’instant est menacée, c’est la liberté de faire sereinement. On ne m’empêche pas de m’exprimer, on n’empêche pas OSS d’être monté, par contre les professionnels de la victimisation identitaire mènent des cabales sans précédent, prêtant des intentions malveillantes à un sketch, une chanson, un roman… Tout ça fait malheureusement le lit des réactionnaires et potentiellement de l’extrême droite.

Comment viennent les gags? La plupart des idées sont de Jean-François Halin, des idées un peu baroques, un peu folles, une peu étranges, comme lui. C’est la première fois que je fais un film dont je n’ai pas écrit chaque phrase et dont l’humour n’est pas toujours le mien. C’est très intéressant de mettre en valeur quelque chose qu’on n’aurait pas écrit spontanément. C’est comme danser avec la femme d’un autre.

Le cinéma semble prendre une place prépondérante parmi vos nombreuses activités… Il prend quasiment toute la place. J’attaque le tournage de mon quatrième film, une histoire d’arnaque sur la Côte d’Azur avec Pierre Niney, Isabelle Adjani, François Cluzet, dans lequel je dépeins et critique le monde de l’argent et des faux-semblants. Je fais ce qu’on appelle aujourd’hui de gros films, avec des pressions, des responsabilités importantes. J’y consacre une très grande partie de mon temps. J’ai arrêté la plupart de mes autres activités. Le commentaire de l’actu me manque un peu. En même temps, par rapport à la masse des critiques, ce n’est pas mal de se réfugier un peu dans la fiction. Il est possible qu’un jour je fasse une longue pause, peutêtre forcée en cas d’échecs cinématographiques, pour écrire quelques livres. J’ai des choses intimes un peu coincées dans le coeur que la fiction ne m’a pas encore permis d’exprimer.

Quels sont les films qui vous ont

donné le goût du cinéma? J’aime parfois les films pour leur forme et parfois pour leur scénario. Dans certains cas, comme chez Woody Allen, les deux se rejoignent. Mes films tentent de réconcilier des genres très différents. Je peux passer autant de temps avec Scorsese qu’avec Bacri-Jaoui ou Alain Resnais. Il me faut des images belles et puissantes, des femmes qui me rendent amoureux. La critique a tendance à juger les films autrement qu’en fonction de leur sujet. On va soudain reprocher à OSS de ne pas être un film de Pascal Bonitzer. Ah ouais, mais ce n’est pas le même principe.

Cinéma

fr-ch

2021-07-31T07:00:00.0000000Z

2021-07-31T07:00:00.0000000Z

https://letemps.pressreader.com/article/281822876838169

Le Temps SA