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OSS 117, Y A BON LA FRANCE

ANTOINE DUPLAN @duplantoine

Ivre de suprémacisme tricolore, le plus spécial des agents spéciaux français reprend du service dans «Alerte rouge en Afrique noire» en salles mercredi. Nicolas Bedos signe cette satire de la masculinité occidentale et Jean Dujardin mène à nouveau le bal de l’incorrection politique

◗ Ça a le goût du vodka-martini secoué, mais c’est du beaujolpif pur jus. On n’est pas chez James Bond, mais chez OSS 117! A l’instar de son collègue britannique, détenu en Corée du Nord au début de Meurs un

autre jour, le plus spécial des agents spéciaux français est dans le pétrin. Captif des Russkofs, contraint de lire un message à l’adresse du président Giscard d’Estaing, il ne peut que pouffer face à la syntaxe défaillante des Rouges. Il contre-attaque, assomme tous ses geôliers, sort de l’oubliette et attrape au vol l’hélicoptère tricolore venu le récupérer au fond de la vallée du Panchir.

S’ensuit un générique parodiant joyeusement la tradition jamesbondesque avec du r’n’b pur sucre, des filles nues et des serpents sensuels. Hubert Bonisseur de La Bath est de retour aux affaires pour la troisième fois. Nicolas Bedos remplace Michel Hazanavicius derrière la caméra, Jean-François Halin, auteur culte des Guignols de l’info, signe toujours le scénario et l’irremplaçable Jean Dujardin enfile de nouveau le costar de l’agent secret. Qui du comédien et du personnage a le plus mûri entre 2009 et 2020? Dujardin se creuse un petit coup la tête avant d’estimer sans vantardise qu’il a plus évolué qu’OSS, celui-ci ayant plutôt tendance à «régresser».

CHAUFFE GISCARD!

OSS 117: Rio ne répond plus (2009) se conclut le 20 février 1967, jour de la naissance de Kurt Cobain. Treize ans ont passé, voici les folles années 1980! La France tremble: si Mitterrand est élu, «c’est les cocos à l’Elysée, les chars russes sur les Champs-Elysées».

En attendant ces sombres jours, les bonnes vieilles traditions se perpétuent. Le retour d’OSS 117 pétarade de gauloiserie pré-#MeToo. «Il y a du monde au balcon», se réjouit le godelureau devant le décolleté d’une secrétaire; quant aux autres, non seulement consentantes mais réjouies, c’est la main au panier! A toutes! A la bonne franquette! Dans la bonne humeur! Et chauffe Giscard pour une Marseillaise java qui transporte les Françaises de bonne volonté!

Les temps changent pourtant. Dans le bureau d’Armand Lesignac (Wladimir Yordanoff), chef des services secrets, OSS 117, «en costume, rasé, propre», achoppe sur la relève en la personne d’OSS 1001 (Pierre Niney), un jeune agent qui ressemble à un beatnik. Le bleu part en mission en Afrique de l’Est, où se manifestent des tendances indépendantistes («Les Africains sont joyeux, ils dansent bien, mais tous ne sont pas loyaux») tandis que le vétéran descend au sous-sol s’initier à l’informatique balbutiante.

Les semaines passent. OSS 1001 ne répond plus. OSS 117 part à sa rescousse… Dans l’avion, il prépare sa mission en relisant Tintin au Congo. «Le temps béni des colonies» touche à sa fin, mais la Françafrique a encore de beaux jours devant elle. L’hôte français est accueilli en héros («On ne peut pas empêcher le peuple africain de chanter son amour de la France», rit l’imbécile heureux) dans un triomphe mis en scène par le président Bamba, fantoche corrompu jusqu’à la moelle.

L’agent secret a beau savoir qu’on ne dit plus «costume colonial», ni même «costume blanc», mais «costume clair», le naturel revient au galop. Il gaffe abondamment, pose un regard hautain et paternaliste sur la réalité africaine, fait entendre son grand rire crétin. Pour lui, la girafe est une «bestiole mal fichue»; les opposants à Bamba, «des rebelles bousiers, vaguement communistes». Il promet à un enfant au pied agile un bel avenir en métropole: «Tu auras un vrai ballon, un vrai terrain, un vrai pays», soit le pays du Concorde, du TGV, de René Coty, du Général, de Casimir, de Mireille Mathieu et de Giscard à l’accordéon ainsi que le présente un clip publicitaire.

TUER LE PÈRE

La raison d’être des OSS 117 est la dérision. Alerte rouge en Afrique noire ne déroge pas à la règle. Il raille la connerie cocardière dans la foulée du Superdupont de Gotlib et, sensibilité contemporaine oblige, met l’accent sur le sexisme et la xénophobie, Hubert n’ayant strictement rien compris à l’altérité de genre ou de race. Après une dysfonction érectile, le parfait goujat se disculpe en narrant à sa partenaire les ruts homériques dont il a comblé les créatures des cinq continents, les laissant pantelantes de volupté. Quant aux Africains, ils «se ressemblent un peu tous, mais pas officiellement».

Détricotant maints clichés du romanesque colonialiste, l’intrigue ténue est ponctuée de bagarres au second degré et de gags souvent très drôles, ourlée d’une nécessaire impertinence à l’égard des frilosités de la pensée politiquement correcte. La plaisanterie s’essouffle toutefois sur la fin. La chance souriant aux incompétents, OSS 117 remplit bien malgré lui sa mission. Son pire ennemi s’avère ni l’Africain sauvage, ni le communiste sournois, ni même la femme versatile, mais la génération montante. S’il n’a «rien contre la modernité, mais ça ne marche pas», il se la prend quand même frontalement avec OSS 1001. Plus malin que son aîné, plus débrouille, plus performant au plumard, le fervent disciple va déchanter, crever la baudruche, tuer le père, ce «petit bonhomme dépassé par son temps, proférant une avalanche d’inepties racistes et xénophobes». Un crocodile surgissant impromptu du marigot met fin à la diatribe. Vieille solidarité des dinosaures à peau dure?

«OSS 117: Alerte rouge en Afrique noire», de Nicolas Bedos (France, 2021), avec Jean Dujardin, Pierre Niney, Fatou N’Diaye, Natacha Lindinger, Wladimir Yordanoff, 1h40.

Cinéma

fr-ch

2021-07-31T07:00:00.0000000Z

2021-07-31T07:00:00.0000000Z

https://letemps.pressreader.com/article/281814286903577

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