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Le baseball, miroir des tensions entre Japonais et Sud-Coréens

PHILIPPE MESMER (LE MONDE), TOKYO @pmtokyo

TOKYO 2020 Les deux équipes figurent parmi les favorites du tournoi de baseball, qui a débuté mercredi. Aucune d’elles ne voudra perdre la face, alors que les différends diplomatiques entre les deux pays sont persistants

Le tournoi de baseball, qui a débuté le mercredi 28 juillet aux Jeux olympiques de Tokyo, semble promis aux Japonais. Mais leurs ennemis intimes et rivaux historiques de Corée du Sud, qui par ailleurs sont les autres grands favoris, pourraient briser ce rêve. Si tout se déroule bien pour elles, les deux équipes s’affronteront en demi-finale, le 4 ou le 5 août, dans un match où la défaite leur sera interdite.

Il faut dire que le baseball est le sport numéro un dans les deux pays. Et, de ce fait, il cristallise, encore plus que le judo, le football ou le volleyball – autres sports populaires qui devraient donner lieu à des rencontres très suivies pendant les Jeux –, les tensions persistantes entre deux voisins. Les relations entre Séoul et Tokyo restent délicates en raison des questions mémorielles liées à la colonisation de la péninsule par le Japon entre 1910 et 1945. Il y a celle des «femmes de réconfort» sud-coréennes – euphémisme qualifiant les femmes contraintes de se prostituer pour l’armée impériale nippone – ou encore celle des Coréens forcés de travailler pour l’industrie japonaise pendant la guerre.

Nationalismes titillés

L’arrivée, en janvier, de Joe Biden à la tête des Etats-Unis a changé la donne. M. Biden souhaite que ses deux alliés en Asie de l’Est coopèrent, en regard notamment de la montée en puissance chinoise. Le président sud-coréen, Moon Jae-in, a proposé de participer à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et d’en profiter pour rencontrer le premier ministre japonais, Yoshihide Suga. Ce projet n’a pu aboutir, en raison notamment de propos désobligeants prononcés par le numéro deux de l’ambassade du Japon à Séoul. Hiroshi Soma a ironisé lors d’un échange avec des journalistes, estimant que les efforts de M. Moon pour resserrer les liens avec le Japon et obtenir un sommet avec M. Suga s’apparentaient à «de la masturbation».

Dans ce contexte, les Jeux titillent comme jamais les nationalismes respectifs. Fin mai, la Corée du Sud a critiqué l’inclusion des rochers Liancourt, un groupement d’îlots appelé Dokdo en Corée et Takeshima au Japon, sur la carte de présentation du parcours de la flamme olympique. Ces îlots sont occupés par la Corée mais revendiqués par le Japon. Le Ministère sud-coréen des affaires étrangères a «protesté fermement contre la revendication territoriale injuste du Japon sur Dokdo et exigé une correction immédiate». Le porte-parole du gouvernement nippon, Katsunobu Kato, a répondu que Tokyo n’en ferait rien, ajoutant que «Takeshima [étai]t un territoire inhérent au Japon, conformément au droit international et aux faits historiques».

Dès leur arrivée au village olympique, les athlètes sud-coréens ont accroché aux balcons de leurs chambres des bannières où figurait le message: «J’ai encore le soutien de 50 millions de Coréens.» Ce message détournait les célèbres paroles de l’amiral coréen Yi Sun-sin au XVIe siècle, qui aurait déclaré au roi Seonjo: «J’ai encore douze navires de guerre», avant de remporter une victoire cruciale contre la flotte japonaise pendant la guerre ayant vu le Japon envahir la Corée entre 1592 et 1598.

Revendications dans le stade

Le Japon a protesté, et le Comité international olympique (CIO) a déclaré que ces bannières allaient à l’encontre de la règle 50 de la Charte olympique, qui stipule qu’«aucune manifestation ou propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée sur les sites, les installations ou dans d’autres zones olympiques». Les Coréens ont accepté de les retirer en échange de la promesse, non confirmée par le Japon, de ne pas brandir pendant les Jeux le kyokujitsuki, «drapeau du Soleil levant» faisant figurer un cercle rouge duquel partent seize rayons, que les Coréens considèrent comme un symbole de l’occupation de la péninsule.

Les tensions observées autour des Jeux de Tokyo ne sont pas nouvelles dans le domaine sportif. Aux Jeux de Londres en 2012, le footballeur sud-coréen Park Jong-woo avait brandi après la victoire de son équipe face au Japon pour la médaille de bronze un panneau disant «Dokdo est notre territoire». Aux Jeux d’hiver de Pyeongchang, en 2018, le Japon avait protesté contre l’inclusion des rochers Liancourt sur le drapeau représentant une péninsule coréenne unifiée et utilisé lors de la cérémonie d’ouverture par les athlètes des Corées du Sud et du Nord, qui avaient défilé ensemble. Enfin, lors de la Coupe du monde de baseball de 2006, la Corée du Sud avait battu le Japon. La star japonaise d’alors, Ichiro Suzuki, avait parlé du «jour le plus humiliant de [s]a carrière».

Joe Biden souhaite que ses deux alliés en Asie de l’Est coopèrent, en regard notamment de la montée en puissance chinoise

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2021-07-31T07:00:00.0000000Z

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