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Le VTT pour s’évader, une passion si helvétique

Le triplé olympique de Jolanda Neff, Sina Frei et Linda Indergand rappelle à quel point le vélo tout-terrain est une passion nationale. Les amateurs sont de plus en plus nombreux, même si les grandes classiques souffrent de l’apparition de nouvelles épreu

CAROLINE CHRISTINAZ @caroline_tinaz

L’attrait du vélo tout-terrain ne cesse de croître en Suisse. Les amateurs sont de plus en plus nombreux à pédaler sur les sentiers de montagne ou les chemins caillouteux. Et le triplé olympique des Suissesses à Tokyo rappelle que ce sport fait désormais partie de l’identité helvétique.

On s’en souviendra longtemps. Trois drapeaux rouges à croix blanche se sont élevés, ce mardi, dans le ciel olympique japonais, pour fêter le triplé helvétique de Jolanda Neff, Sina Frei et Linda Indergand lors de l’épreuve de VTT cross-country. Pour le pays, cela restera certainement l’image la plus marquante des Jeux de Tokyo.

Ces trois médailles viennent confirmer le succès suisse dans la discipline. Depuis les premières compétitions de VTT dans les années 70, les vététistes du pays figurent parmi les meilleurs mondiaux. Les noms de Thomas Frischknecht ou Silvia Fürst qui ont remporté les médailles d’argent et d’or lors des Championnats du monde de 1990 et 1992 incarnent la légende du pays. Depuis 1996, lorsque la discipline est apparue au programme olympique, elle a valu à la Suisse dix médailles, contre sept en cyclisme sur route et sur piste. C’est mieux qu’aucune autre nation.

Pour l’entraîneur Nicolas Siegenthaler, connu notamment depuis vingt et un ans pour son travail avec le quadruple champion du monde Nino Schurter, cette domination n’est pas une surprise. «Les cyclistes suisses ont toujours aimé sortir des voies asphaltées, comme les Belges et les Hollandais.

Eux sont meilleurs en cyclocross, tandis que nos montagnes nous permettent d’exceller dans le domaine du cross-country.»

A ses yeux, la topographie ne fait toutefois pas tout. Il y a aussi une méthode d’apprentissage particulière. «Pendant la course, Jolanda s’est amusée. En la voyant, je me suis souvenue d’elle petite qui regardait les compétitions de son père en bordure de piste assise sur un monocycle, relève le coach. Il n’y a pas de secret, il faut pratiquer, exercer son équilibre et sa coordination mais aussi s’amuser.»

L’homme qui, à l’aube des années 1990, a remporté à deux reprises le Grand Raid constate une véritable évolution dans la discipline: «A l’époque, nos concurrents étaient essentiellement des routiers car les parcours nécessitaient surtout une bonne forme physique. Maintenant qu’ils sont devenus bien plus techniques, cela requiert d’autres aptitudes.»

Technique, courage et jeu

A travers l’entraînement de Nino Schurter, Nicolas Siegenthaler a mis en pratique des méthodes bien précises. «En résumé, il faut se concentrer sur un alliage entre force, équilibre et coordination», sourit-il, avant de décrire également toutes les qualités mentales requises pour effectuer une course avec autant d’aisance que les trois médaillées de mardi. «C’était la piste la plus technique que j’ai vue. Il fallait beaucoup de courage pour la rouler.» Et si les femmes ont maîtrisé la terre grasse et les obstacles du terrain japonais, c’est selon lui justement parce qu’elles y étaient préparées.

Le parcours des courses de VTT à Tokyo était, selon le spécialiste, comparable à ceux qui sont tracés dans le cadre de la Coupe de Suisse. «Nous développons surtout les compétences techniques chez les jeunes. Lors des entraînements, parmi la multitude d’exercices proposés, on leur demande sur leur vélo, dans un laps de temps court, d’effectuer un slalom bras croisés, de ramasser une balle à terre ou de tourner dans un espace réduit sans toucher les bords.»

Les résultats en sont la preuve. Et plus la Suisse remporte des médailles en VTT, plus le nombre d’adhérents à la discipline augmente. «Chaque champion a contribué à une hausse de la pratique chez les jeunes. Le triplé de cette semaine aura aussi ses répercussions», promet l’entraîneur.

Participation en baisse

On observe cet engouement chez les amateurs. Aujourd’hui, selon l’étude Sport Suisse 2020, commandée par l’Office fédéral de la statistique, la pratique du vélo a gagné en popularité. En 2020, près de 8% de la population du pays, soit plus d’un demi-million de personnes, affirment pratiquer le VTT, contre 6,3% en 2014.

D’autre part, depuis quelques années, les stations de montagne sont envahies par des machines électriques, au même titre que les magasins de sport et les garages de Monsieur et Madame Tout-le-monde. Tout compte fait, le VTT figure aujourd’hui parmi les vingt sports les plus pratiqués durant les vacances derrière le cyclisme, la natation et le jogging mais devant le snowboard, le golf et le ski de fond.

Mais ce succès populaire n’a, contre toute attente, pas bénéficié aux grandes courses de VTT. Au contraire. Depuis dix ans, les organisateurs observent une baisse notable du nombre de participants. Roland Müller, qui tient depuis 2002 les rennes de la Coupe romande et est également actif dans le chronométrage, l’estime à 15%. Il impute cette diminution

à l’arrivée du trail running. «Cette nouvelle façon d’aborder la montagne nous a pris des concurrents», commente-t-il. Selon lui, l’aspect pratique et financier joue un rôle décisif dans ce basculement. «Pour aller courir, il suffit de mettre des baskets. Pour le VTT, l’achat du matériel coûte cher, il faut de la technique et de l’entretien.»

Mêmes constats du côté des autres courses. Il y a sept ans encore, 1200 cyclistes se mesuraient les uns aux autres lors de la Raiffeisen Trans dans les montagnes neuchâteloises. Ils ne sont plus que 800 cette année. Quant au Grand Raid, qui attirait dans les années 1990 près de 4000 concurrents, il ne jouit plus depuis quatre ou cinq ans que de la venue de quelque 2400 cyclistes.

Pour Laure-Marie Zufferey, la responsable du bureau de la course, cette participation en berne est un effet pervers qui découle précisément du succès du VTT. «Les événements se sont multipliés au même titre que les différentes pratiques de vélo horspiste. Aujourd’hui, l’enduro, plutôt ludique, remporte beaucoup de succès au détriment du marathon, plus difficile. Et rien qu’au mois d’août, il est possible de s’inscrire à près de 12 courses de VTT en Suisse romande! Les participants se sont répartis et cela contribue inévitablement à réduire la fréquentation des classiques.»

Personne ne nie les effets relativement bénéfiques de l’arrivée du vélo électrique mais tous s’accordent sur le fait qu’il ne génère pour l’heure pas forcément d’adeptes de compétitions traditionnelles. Les observateurs s’attendent toutefois à ce que les épreuves «motorisées» se généralisent à l’avenir.

Selon les spécialistes, l’engouement généré par les trois médaillées de Tokyo ne se fera pas attendre. Par ailleurs, le développement de pistes en Suisse romande et la tradition technique nationale donne de quoi rêver de voir à nouveau trois drapeaux rouges à croix blanche s’élever dans le ciel.

«Rien qu’au mois d’août, il est possible de s’inscrire à près de 12 courses en Suisse romande» LAURE-MARIE ZUFFEREY, RESPONSABLE ADMINISTRATIVE DU GRAND RAID

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