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Les espoirs du tourisme lucernois

Entre les intempéries et les voyages internationaux encore au ralenti, Lucerne peine à remplir ses hôtels. Mais le retour des touristes du Golfe et des Etats-Unis laisse entrevoir une amélioration

MATHILDE FARINE @MathildeFarine

C’est comme une tour de contrôle au-dessus du centre névralgique de Lucerne. Depuis son bureau, Marcel Perren peut tout surveiller: la montée de la Reuss, qui a menacé, voire débordé par endroits à la mi-juillet. Les entrées et sorties sur la Schwanenplatz et son fameux tourniquet des cars larguant leurs touristes dans la vieille ville, qui avait suscité tant de tensions avant l’irruption de la pandémie. Le directeur de Lucerne Tourisme peut probablement même constater la fréquentation du célèbre pont de la Chapelle, en se contorsionnant un peu.

Fréquentation qui n’est pas folle en ce mercredi pluvieux de juillet. Un seul groupe écoute l’histoire du pont qui avait brûlé dans les années 1970. Signe de cette période spéciale, la guide ne le fait pas en anglais ou en chinois, mais bien en suisse-allemand. Signe encore d’une saison touristique en berne, le magasin de souvenirs au milieu du pont a fermé. Ses rideaux de métal sont baissés, reste son emblème et la promesse désormais biffée d’une ouverture quotidienne. Il a laissé la place à une distillerie en mode pop-up qui n’ouvre que quatre jours sur sept.

Retour des touristes étrangers

Après des années d’un tourisme intense, presque forcené – 9,4 millions de visiteurs par an avant la pandémie –, Lucerne est en quasi-veille. «Les nuitées sont à peu près au même niveau que l’été dernier», constate Marcel Perren. C’està-dire: bien loin des records de 2019. L’été 2020, presque seuls les Suisses ont pu visiter la ville qui borde le lac des Quatre-Cantons. Cette année, ils sont de nouveau les plus nombreux. Mais certains sont allés à l’étranger, compensés par des touristes allemands, du Benelux ou français.

Sur l’ensemble de l’année, Lucerne pense faire mieux que 2020, lorsque les nuitées avaient chuté de 65% – bien davantage que la moyenne nationale de -40% – notamment parce que les protagonistes comptent sur un automne un peu meilleur et parce qu’ils voient certains touristes revenir, comme ceux du Golfe. Ces derniers sont particulièrement appréciés parce que ce sont les plus dépensiers et aussi ceux qui restent le plus longtemps.

Les touristes américains, habituellement le deuxième marché pour Lucerne, eux aussi s’annoncent de nouveau pour la mi-août dans ce «Disney World naturel, cette petite station où tout est proche, comme ils ont tendance à voir Lucerne», plaisante le responsable. Avant de redevenir sérieux: «Nous restons sur des niveaux très bas», admet Marcel Perren. Les visiteurs asiatiques, eux, ne sont pas attendus avant le printemps prochain. Autre raison d’espérer, le retour des événements et de certains festivals, même en version réduite, alors que tout avait été annulé en 2020.

Fermetures et réouvertures

C’est d’ailleurs ce que confirme Patrick Hauser, qui dirige l’emblématique Schweizerhof, installé sur le quai qui porte le même nom. Ce retour d’une clientèle plus lointaine remonte le moral de tout le secteur. Ce cinq-étoiles a fermé à deux reprises, la dernière fois entre janvier et mars de cette année. Les premières semaines, l’établissement a pu profiter d’avoir des clients réservant une nuit pour pouvoir manger au restaurant avant que cet effet ne disparaisse avec la réouverture des restaurants. Cet été, le taux d’occupation oscille entre 40 et 50%. Patrick Hauser table ainsi sur une année 2021 meilleure que 2020, d’autant que les demandes pour des séminaires ou des banquets ont augmenté, avant et après l’été.

Quelques hôtels avaient fermé pendant les pics de la pandémie, mais ils sont désormais pratiquement tous ouverts. Même avec une telle crise, aucun n’a mis la clé sous la porte. Miracle? L’aide, qu’il s’agisse de chômage partiel, de prêts ou d’aide d’urgence, a fonctionné. «Sans ces instruments, on aurait eu beaucoup de problèmes», reconnaît le responsable du tourisme local. Les restaurants ou les remontées mécaniques eux aussi ont largement souffert de la situation et ont eu recours à des aides.

Aux contraintes de la pandémie s’ajoutent celles de la météo et, pire encore, celles des intempéries. Lorsque la Reuss était au plus haut, l’hôtel-restaurant des

Alpes, à quelques mètres du pont de la Chapelle, a dû fermer plusieurs jours. Malgré les bâches et les sacs de sable, «nous avons eu peur que l’eau ne rentre dans le restaurant», raconte une serveuse. Le pire a été évité, mais les litres de pluie qui sont tombés sur la Suisse en juillet ont aussi eu un coût en termes de chiffre d’affaires touristique. «Les visiteurs suisses réservent souvent au dernier moment et ils regardent les prévisions météo. L’an dernier, nous n’avons pas eu ce problème», reprend Marcel Perren. A l’inverse, les voyageurs des pays lointains n’ont pas le luxe de s’adapter à la météo, ils viennent par tous les temps.

Marcel Perren s’attend à une amélioration l’an prochain, mais un retour au sommet de 2019 n’interviendra pas avant quatre à cinq ans, estime-t-il. Quant aux groupes, eux non plus ne seront peut-être plus aussi nombreux ou de moins grande taille. Un changement qui pourrait satisfaire les locaux, excédés par les allers et retours des cars, dont le nombre pouvait atteindre 100 par jour. Pourtant, «avec cette crise, les Lucernois ont pu constater l’importance du tourisme pour la ville et le canton», poursuit Marcel Perren dont l’organisation a réalisé une étude sur la valeur ajoutée du secteur. En 2019, plus d’un emploi sur dix dans la ville était lié au tourisme, tandis que son poids dans le PIB était de 8,3%. Si l’emploi

En 2019, plus d’un emploi sur dix dans la ville était lié au tourisme, tandis que son poids dans le PIB était de 8,3%

a été plus ou moins maintenu, la valeur ajoutée a chuté de 75% avec la crise, un plongeon encore plus important que celui des nombres de nuitées.

Comme ses pairs, le Schweizerhof a bénéficié des mesures étatiques. «Cela nous a aidés, même si nous avions de la chance, grâce aux réserves accumulées après des années excellentes, notre survie n’était pas en jeu», détaille le responsable. Comme toutes les personnes rencontrées, il ne veut surtout pas se plaindre: «A Lucerne, nous avons de la chance aussi parce que nous dépendons du tourisme de loisirs, pas du tourisme d’affaires qui est à l’arrêt et dont on ne sait pas quand il va reprendre, ni même s’il reviendra au niveau d’avant la crise.» Reste que les incertitudes actuelles n’aident pas: «Nous avons dû imaginer des offres différentes, comme des petits concerts, à la place du Luzern Festival, l’été dernier. Cela a été très apprécié des artistes et des clients. Mais parfois, comme pour le concert de fin d’année, tout a dû être annulé au dernier moment en raison des mesures sanitaires.»

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2021-07-31T07:00:00.0000000Z

2021-07-31T07:00:00.0000000Z

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