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«Après le sommet, gare à la descente!»

A l’occasion de la Fête nationale, le président de la Confédération se montre confiant sur la sortie de crise sanitaire. Mais il confie que celle-ci a aussi montré les failles du système suisse, notamment en matière d’e-gouvernance

PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaume

Avant sa présidence, Guy Parmelin était décrié pour son manque de vision et de leadership. Sept mois plus tard, le Vaudois… déçoit en bien

■ A l’orée de la Fête nationale, nous l’avons passé à la question. Climat, sommet Biden-Poutine, relations avec l’Europe, gestion de la crise covid, il se raconte ouvertement

■ «Nous venons de vaincre un sommet comme le Cervin, dit-il avec placidité. Il reste la descente et c’est souvent à ce moment-là qu’arrivent des accidents»

■ Le conseiller fédéral ne cache pas une certaine satisfaction, mais reste prudent. Il somme aussi l’Europe de ne pas prendre la science suisse en otage

Beaucoup d’observateurs étaient sceptiques quant à la faculté de Guy Parmelin de diriger le pays en plein rebond de la crise du coronavirus. Ils lui reprochaient son manque de leadership et de vision. Sept mois plus tard, ces détracteurs s’avouent tous surpris. Le Vaudois s’avère à la hauteur de sa tâche, ainsi que l’a montré le sommet Biden-Poutine. Interview.

Quel est l’état du pays alors qu’on s’apprête à célébrer la Fête nationale? Est-on au bout du tunnel et peut-on se projeter dans le monde d’après?

J’ai l’impression qu’on est sorti du tunnel, mais je changerais d’image. Nous venons de vaincre un sommet comme le Cervin. C’était difficile, mais il s’agit de ne pas sous-estimer les difficultés à venir. Il reste la descente et c’est souvent à ce moment-là qu’arrivent des accidents. Il faut faire attention à ne pas dérocher.

Quelle est la plus forte image que vous gardez de votre premier semestre présidentiel?

J’en retiens deux. D’abord la crise du covid, qui m’a obligé en tant que président à convoquer au tout début de l’année une séance extraordinaire du Conseil fédéral pour prendre des mesures de restrictions dures afin de prévenir une troisième vague du virus. Et puis bien sûr la rencontre du 16 juin entre les présidents Vladimir Poutine et Joe Biden. Mais c’est plutôt rétrospectivement, en revoyant les images, que je me suis vraiment rendu compte de ce moment exceptionnel que nous avons vécu pour le pays et sa population.

Avez-vous été nerveux du fait que vous êtes soudain devenu un président au centre du monde?

Nous sommes tous très satisfaits et fiers d’avoir réussi cette mission. Personnellement, j’ai été plus concentré que nerveux. Le matin du 16 juin, soit avant le sommet, après la préparation de la séance du Conseil fédéral du vendredi suivant depuis ma chambre d’hôtel, j’ai disposé d’une heure et quart pour répéter mes gammes. Même si le message que j’ai délivré était bien préparé, il faut toujours prévoir l’imprévisible. On craignait des tensions dans le protocole, comme sur la question de la climatisation par exemple. Mais en fin de compte même les puissants du monde restent des êtres humains, et le contact entre les deux présidents a été plutôt chaleureux.

Dans vos entretiens bilatéraux avec eux, quel thème inattendu a-t-il surgi?

En matière de formation, nous avons bien sûr parlé de notre système dual d’apprentissage avec le président américain. Puis Joe Biden, sur la base du fait que nos deux pays étaient des leaders mondiaux dans l’innovation, a émis le voeu d’une plus grande collaboration entre nos hautes écoles. C’était une manière d’une part de nous faire un appel du pied alors que nous avons des questions ouvertes avec l’UE sur le plan de la coopération scientifique et d’autre part de promouvoir le savoir-faire technologique américain, et sans doute indirectement les avions de combat.

Tous les médias ont salué votre prestation. Avez-vous éprouvé un sentiment de revanche dans la mesure où avant le début de votre présidence, l’on vous avait décrit comme un politicien sans grand leadership ni vision?

Non! Ce qui m’intéresse en politique, c’est le résultat au profit de l’intérêt général de la population, et non pas les apparats du pouvoir. Un de mes dictons préférés est: «La roche Tarpéienne est proche du Capitole.» Il peut arriver qu’un jour, vous soyez au sommet avant de tomber au fond du trou peu après. Je n’ai donc pas éprouvé de sentiment de revanche, mais la satisfaction d’avoir pu positionner notre pays sur la scène internationale de la meilleure des manières.

Ce 29 juillet, c’est l’«Earth Overshoot Day», le jour où l’humanité a déjà consommé les ressources de la terre pour une année. Cela vous inquiètet-il pour les générations futures?

La réalité du changement climatique est indéniable. C’est un fait. En prenant des engagements lors des Accords de Paris, le Conseil fédéral a montré qu’il en était conscient. Je suis aussi persuadé que nos concitoyennes et concitoyens sont prêts à faire des efforts en faveur du climat et de la biodiversité. Mais il faut les convaincre par des projets équilibrés. Si une partie de la population a l’impression de se retrouver perdante, elle ne va pas les approuver. Lors de la votation sur la loi sur le CO2, les gens des campagnes, qui ne peuvent pas se passer de voiture, ont eu le sentiment d’être pénalisés après avoir contribué à financer les infrastructures des villes. Il faut désormais trouver des moyens pour promouvoir les investissements dans les technologies durables. Il me semble que la population suisse est prête à faire des efforts dans ce sens.

La crise du covid est toujours là. Redoutez-vous l’actuel ralentissement de la vaccination?

Il faut relativiser. Certaines personnes n’ont pas pu obtenir de rendez-vous avant les vacances. Il n’est donc pas impossible qu’on assiste à la rentrée à un rebond de la vaccination. Mais les cantons doivent faire prendre conscience aux gens non vaccinés que celle-ci sera l’élément clé pour éviter une surcharge des hôpitaux. Ils doivent aller les chercher et les convaincre sur leurs lieux de vie, par exemple devant les centres d’achat.

Faut-il élargir le champ du certificat sanitaire, par exemple aux restaurants?

Le Conseil fédéral discutera à la rentrée des adaptations éventuelles qu’il jugera nécessaires. La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Si un quart de la population ne veut pas se faire vacciner, c’est son droit et je le respecte. Mais il devra en assumer les inconvénients. On ne pourra pas obliger les trois autres quarts de la population à restreindre leur liberté en raison de leur attitude. C’est une question de solidarité et de responsabilité individuelle. Mais la solution trouvée ne peut pas avoir pour conséquence de nouvelles difficultés pour les milieux touristiques, gastronomiques et culturels.

Faut-il pénaliser financièrement ce comportement en rendant tous les tests payants?

Au moment où toutes celles et ceux qui l’auront voulu seront vaccinés, je vois mal la collectivité dans son ensemble accepter de payer ces tests.

La crise du covid a rendu le discours politique très dur, votre propre parti ayant même parlé de «dictature sanitaire»?

En elle-même, la politique est dure. Mais le langage est devenu plus violent, notamment sur les réseaux sociaux qui ont amplifié ce phénomène. Ceux-ci constituent un exutoire pour certaines personnes qui ne se rendent pas compte des conséquences de leurs propos.

Avez-vous reçu des menaces?

Pas personnellement. Mais j’ai appris que sur les réseaux sociaux, les autorités policières fédérales ont détecté quelques auteurs qui avaient dépassé la ligne rouge des menaces et les ont dissuadés de poursuivre sur cette voie. Généralement, cela suffit.

Les conseillers fédéraux sont aujourd’hui mieux protégés qu’avant. Craignez-vous cette perte de proximité avec la population?

Si on devait en arriver à ériger un mur entre nous et la population, je le déplorerais beaucoup. Mais il ne faut pas dramatiser. Je m’en suis aperçu lors de la course d’école du Conseil fédéral. Les gens étaient heureux de nous revoir physiquement. Je caricature à peine en disant qu’ils voulaient presque nous toucher. Cela a été une agréable surprise! Cette proximité avec la population est très précieuse.

Le Conseil fédéral a déchiré l’accord-cadre sans plan B. Avez-vous vraiment cherché un compromis avec l’UE?

J’avais une mission claire en me rendant à Bruxelles pour y rencontrer la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen: tirer un bilan politique de l’accord et examiner s’il restait une marge de manoeuvre. Mais ce n’était pas le cas, manifestement.

C’est-à-dire? Si l’UE veut attendre le mois de septembre pour faire le bilan de sa relation avec la Suisse, ce n’est pas pour rien. J’ai eu l’impression que ses Etats membres, qui ont aussi été surpris par la rupture des négociations, aimeraient savoir ce qui pourrait être sauvé. De notre côté, nous souhaitons un dialogue à un haut niveau politique. Entre la position de l’UE, qui ne veut pas signer de nouveaux accords d’accès au marché, et le fait d’actualiser les accords techniques qui fonctionnent bien comme la reconnaissance mutuelle de nos produits, j’estime qu’il y a un terrain d’entente possible.

Les premières victimes sont les exportateurs de produits médicaux et la science. En tant que chef politique de ces secteurs, assumez-vous une part de responsabilité envers eux?

La non-reconnaissance mutuelle des produits nuit aux deux parties. Le Conseil fédéral s’attend à ce que la Commission européenne respecte au moins les obligations de l’UE dans les accords existants. Nous sommes en train de travailler avec la Commission européenne pour trouver une solution à cette situation. Quant à la participation de la Suisse au prochain programme européen de recherche, il ne s’agit pas d’un accord d’accès au marché. Nous avons toujours coopéré dans ce domaine et avons adopté un crédit de six milliards pour ce programme. Grâce à celui-ci, nous pouvons financer les projets suisses en cours durant cette phase transitoire lors de laquelle nous sommes considérés comme un Etat tiers par l’UE. Si la situation ne devait pas se débloquer, nous devrions envisager des alternatives.

Vous n’avez pas répondu à la question. Vous sentez-vous en partie responsable?

Mais vous ne pourrez jamais signer un accord qui va pénaliser l’intérêt général à long terme et qui n’obtiendra pas de majorité devant le peuple au profit d’un seul secteur. La même question se pose dans les accords de libre-échange. Avec l’Inde, nous étions proches de conclure un accord qui en l’état aurait beaucoup profité à certains secteurs comme celui des machines. Mais d’autres secteurs comme celui de l’industrie pharmaceutique n’y auraient pas trouvé leur compte, notamment pour des questions liées à la protection de la propriété intellectuelle.

La place scientifique privée du réseau européen, c’est un peu comme si les clubs suisses de football ne pouvaient plus participer aux compétitions européennes. Cela ne vous inquiète-t-il pas?

Si, cela m’inquiète, mais en tant que citoyen européen! Si vous prenez les dix plus hautes écoles d’Europe, il y en a au moins cinq qui se situent en Grande-Bretagne et en Suisse. Si l’UE veut prendre la science en otage à des buts politiques, à la fin c’est l’Europe comme continent qui sera perdante, au profit de l’Amérique du Nord et de l’Asie. Cela nous obligera à chercher d’autres collaborations qu’avec l’UE.

A propos d’identité européenne, on a l’impression que votre fibre est nettement moins forte que celle d’un Jean-Pascal Delamuraz dans les années 1980, non?

Rassurez-vous, je me sens Européen tous les jours! En tant que Suisse, je suis citoyen d’un pays qui a signé 120 accords avec l’UE fonctionnant bien dans l’ensemble. Citoyen d’un pays aussi dont le peuple a confirmé sa participation à l’accord sur la libre circulation des personnes. Citoyen d’un pays encore qui a investi environ 23 milliards de francs pour ses transversales ferroviaires alpines qui profitent beaucoup aux Européens. Je me sens donc parfaitement à l’aise de ce côté-là!

Comment voyez-vous la Suisse dans dix ans?

C’est difficile de faire des pronostics. Tout évolue si vite désormais. Avec les progrès faits dans la numérisation et l’intelligence artificielle, les réformes sont presque déjà dépassées alors qu’elles viennent d’être adoptées. Avant la crise, nous nous disions que la Suisse a toujours fini par retomber sur ses pattes. Mais à peine a-t-elle éclaté que nous avons pu constater les failles de notre système, par exemple en matière d’e-gouvernance. Lorsque nous avons introduit les mesures sur le chômage partiel (RHT), je suis allé visiter un office du travail à Bümpliz qui croulait sous des tonnes de papier et de fax. Nous n’étions pas prêts, c’était le Moyen Âge! Nous n’avions pas les instruments informatiques nécessaires. Il faut désormais accélérer les processus, mais sans négliger les problèmes de protection des données qui se poseront.

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2021-07-31T07:00:00.0000000Z

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