Le Temps epaper

Décrochage scolaire: la famille joue un rôle

PROPOS RECUEILLIS PAR S. R.

Deux sociologues genevois ont analysé l’impact du milieu familial sur les jeunes décrocheurs et vice versa. Le manque d’implication des parents est souligné

Pour comprendre le décrochage scolaire, il faut considérer non seulement le jeune, mais aussi son milieu familial. C’est cette hypothèse qu’Eric Widmer, professeur de sociologie à l’Université de Genève et directeur de l’Observatoire des familles, a tenté d’analyser aux côtés de Myriam Girardin, collaboratrice scientifique au centre Lives de l’Université de Genève. Menée auprès d’un échantillon de jeunes de 18 à 25 ans à Genève, Lausanne, Bâle et Zurich, leur étude présentée ce mardi révèle que la famille joue un rôle clé dans les situations de décrochage, tant au niveau des causes que des conséquences. Toutefois, elle n’est souvent pas assez prise en compte par les différents acteurs (enseignants, éducateurs, conseillers en insertion ou encore médecins).

Dans quel milieu familial vivent les jeunes décrocheurs qui n’ont ni emploi ni formation au sortir de l’école obligatoire? Les profils analysés présentent plusieurs points communs: un statut professionnel précaire, des revenus faibles ou encore un schéma familial monoparental. Ce ne sont toutefois pas des facteurs déterministes, le décrochage scolaire touche aussi les milieux aisés. On constate par ailleurs que Genève se situe au même niveau que Zurich et Bâle. Lausanne présentant un niveau de décrochage légèrement supérieur.

Comment ces jeunes perçoivent-ils leur environnement? Ils pointent un déficit de soutien, en particulier venant du père, du conjoint et des professeurs, mais aussi un niveau de confiance très bas envers les enseignants et les membres de la famille. Rappelons que le décrochage scolaire est un processus qui s’inscrit dans la durée, ce n’est pas un coup de tonnerre. Bien souvent, les tensions s’aggravent au fil du temps. Dans certaines familles confrontées à de grandes difficultés socio-économiques, des problèmes de violences ou de santé, les parents ne sont pas disponibles pour leurs enfants. Ces derniers sont happés par les problèmes de leurs parents et doivent jouer un rôle d’adulte vis-à-vis de leurs frères et soeurs notamment.

Quel est l’impact du décrochage scolaire sur les dynamiques familiales? Les répercussions sont multiples. On constate des tensions au sein du couple, une précarisation économique, un épuisement, voire parfois une rupture des liens parents-enfants. Le décrochage scolaire génère aussi du stress tant pour les jeunes que pour leurs parents, qui décrivent souvent un sentiment d’impuissance et de culpabilité. L’échec de leur enfant devient aussi le leur.

Votre étude montre que, malgré son rôle déterminant, la famille n’est souvent pas assez impliquée… Oui, la famille est un trou noir dans les politiques sociales et scolaires. L’école part du principe que son interlocuteur, c’est le jeune et que ce n’est pas son rôle de faire de la thérapie familiale. Certains professionnels disent aussi qu’il est parfois très difficile de mobiliser des parents pour qui l’enfant n’est qu’un problème parmi d’autres. On a souvent affaire à des parents qui n’ont pas eu une bonne expérience avec l’institution scolaire. De son côté, l’école est à la recherche d’une collaboration mais se méfie aussi des intrusions intempestives et parfois incontrôlables des parents. Cela nourrit un manque de confiance réciproque. Il faudrait pourtant tenter de faciliter le dialogue entre les familles et l’école en développant des liens et des pratiques conjointes.

Quelles solutions envisagez-vous? Des ressources institutionnelles sont nécessaires. On ne peut pas se contenter d’alourdir le cahier des charges des enseignants. Ce message du terrain est très clair. L’une des pistes serait de créer un bureau de coordination des familles qui fasse le lien entre l’école, le jeune et son entourage. Il serait également judicieux d’augmenter le nombre d’assistants sociaux et de psychologues scolaires dans les établissements. Alors qu’on vient d’accepter un congé paternité, il serait aussi important de mettre des moyens pour aider les familles dans d’autres étapes cruciales de la vie, parmi lesquelles la fin de l’école obligatoire et la transition vers l’âge adulte.

Suisse

fr-ch

2021-06-11T07:00:00.0000000Z

2021-06-11T07:00:00.0000000Z

https://letemps.pressreader.com/article/281625308243840

Le Temps SA