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La justice russe écrase l’opposition

EMMANUEL GRYNSZPAN @_zerez_

La décision de classer l’organisation d’Alexeï Navalny comme «extrémiste» intervient à quelques jours du sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine à Genève, lors duquel le président américain compte évoquer le cas de l’opposant

Le verdict rendu par la justice russe mercredi et qualifiant la Fondation anti-corruption (FBK) d’Alexeï Navalny d’organisation «extrémiste» exclut définitivement ses milliers de membres de toute activité ou représentation politique. Le verdict affirme que FBK «vise à saper les fondements de l’ordre constitutionnel, y compris à travers des révolutions de couleur […] sous couvert de slogans libéraux». L’audition, qui a duré 12 heures, s’est déroulée à huis clos sous prétexte que l’instruction «contient des informations classifiées». Le juge a écarté toutes les requêtes de la défense visant à déclassifier les documents à charge.

Selon l’avocat de FBK, Evgueni Smirnov, le verdict suit une loi signée par le président russe Vladimir Poutine le 4 juin qui interdit à tout individu lié de près ou de loin à la fondation de participer à des élections.

Tout membre de FBK ou de l’équipe de campagne d’Alexeï Navalny risque désormais des peines allant jusqu’à six années de prison. L’usage de symboles des organisations créées par Alexeï Navalny, y compris sur les réseaux sociaux et même s’ils sont antérieurs à la décision du tribunal, expose leurs auteurs à des poursuites pénales, tout comme le financement de ces organisations.

Purge avant les législatives

L’exclusion vise à purger le paysage politique russe avant les élections législatives du 16 septembre pour lesquelles le parti du pouvoir paraît très contesté. Un sondage du Centre Levada ne donne que 27% d’intentions de vote à Russie Unie, qui contrôle 75% du parlement actuel. La purge intervient aussi à moins d’une semaine de la première rencontre entre Vladimir Poutine et Joe Biden à Genève, le 16 juin. Le Département d’Etat américain a immédiatement critiqué la décision de justice contre FBK: «Bien que l’ampleur de l’action d’aujourd’hui soit particulièrement inquiétante, elle est révélatrice de la répression croissante du gouvernement russe contre l’opposition politique, la société civile et les médias indépendants.»

L’Union européenne a dénoncé une décision «sans fondement», et a réitéré ses appels à la libération d’Alexeï Navalny. «La décision […] marque l’effort le plus sérieux à ce jour du gouvernement russe pour supprimer l’opposition politique indépendante et les enquêtes anti-corruption», a indiqué jeudi Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne. Le ministre britannique des Affaires étrangères, Dominic Raab, a lui qualifié la décision de justice de «perverse»: «C’est une attaque kafkaïenne de plus, visant ceux qui se dressent contre la corruption et pour les sociétés ouvertes», a-t-il déclaré, accusant le Kremlin d’avoir dans les faits banni «la véritable opposition politique en Russie».

La seule opposition tolérée par le Kremlin est désormais formée par une poignée de partis financés par le pouvoir, dont les leaders n’ont pas changé depuis trente ans. L’un d’eux, le KPRF, est l’héritier du Parti communiste dont le programme a toujours consisté en un retour au système soviétique. Le second, le LDPR, est une formation ultranationaliste dirigée par Vladimir Jirinovski, connu pour ses déclarations xénophobes et sa flagornerie envers Vladimir Poutine. Signe que l’extrémisme, tant qu’il épouse la ligne officielle, peut être toléré.

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2021-06-11T07:00:00.0000000Z

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